Même si elles ne sont probablement pas en « surrisque » face au Covid-19, les personnes vivant avec les VIH ne vont pas particulièrement bien en cette période. Au quotidien, les associations se battent pour maintenir le lien social et assurer des services de première nécessité.
Comment continuer à vivre avec le VIH dans le monde du Covid-19 ? En restant debout, aujourd’hui plus que jamais. « On n’a pas surmonté tout ça pour se laisser abattre maintenant ! » Voici ce qu’a confié un de ses bénéficiaires, juste avant le confinement, à Éric Raja, de l’association Vivre (Sète). Un rescapé des années 1980, les « années noires », celles où l’on mourrait en masse du sida, en France comme ailleurs. « Bien sûr qu’aujourd’hui la priorité sanitaire, c’est le Covid. Mais il n’est pas question d’oublier le VIH et de laisser de côté les personnes qui vivent avec ce virus », assure le Pr François Dabis, directeur général de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS).
A priori pas de surrisque face au Covid-19
La première question que se posent nombre de personnes vivant avec le VIH est celle de leur risque individuel face au coronavirus. Et sur ce point, le constat de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) est plutôt rassurant. « À ce jour, aucune donnée scientifique ne permet d’affirmer que les personnes vivant avec le VIH sont plus exposées au risque d’acquisition du Covid-19 ni qu’elles développeront une forme plus grave de l’infection », indiquait à la mi-mars la SFLS. « Une personne qui prend son traitement régulièrement, avec une charge virale contrôlée, n’est donc pas, a priori, en surrisque, ajoute François Dabis. Même si cela n’est pas établi, peut-être que ce risque est un peu majoré pour les personnes qui n’ont pas de traitement ou qui le prennent de manière irrégulière et qui se retrouvent en situation d’échec virologique ou avec taux de CD4 assez bas. »
En fait, le principal facteur de risque pour les personnes séropositives, comme pour le reste de la population, reste l’existence d’une ou plusieurs maladies associées : le diabète et les pathologies cardiovasculaires, l’hypertension notamment. L’obésité ou le surpoids augmentent également le risque d’être atteint d’une forme grave de la maladie.
Éviter toute rupture du traitement
Même s’ils sont largement mobilisés sur le Covid-19, les médecins spécialistes du VIH insistent sur l’importance d’éviter toute rupture du traitement. « Notre objectif est que nos standards de prise en charge ne soient pas dégradés. Ce n’est pas toujours facile, car les consultations habituelles, notamment à l’hôpital, ont été largement reportées, explique François Dabis. Chez nous, à Bordeaux, notre hôpital de jour a ainsi été remplacé par un centre de dépistage du Covid-19. »
Alors les consultations indispensables ou urgentes se tiennent par téléphone ou visioconférence. « Et les ordonnances ont été prolongées jusqu’au 31 mai ; ce qui permet aux personnes d’aller chercher leurs médicaments à la pharmacie », indique Aurélien Beaucamp, président de l’association Aides. Mais cela ne suffit pas toujours à rassurer les plus anxieux. « J’ai reçu des appels de personnes qui ont peur de se retrouver sans traitement ou qui ont peur de sortir pour aller le chercher, indique Noëlle Tardieu, coordinatrice du Relais VIH (Rodez). Certaines craignent aussi d’aller faire des analyses, lesquelles sont nécessaires pour leur suivi. »
La crainte d’une rupture de stock
Pour l’instant, aucune rupture de stock n’a été constatée pour les antirétroviraux (ARV). « Mais il existe un risque réel que cela se produise dans les semaines ou les mois à venir », estime Aurélien Beaucamp, qui vient d’envoyer une lettre au ministère de la Santé afin de le mettre en garde face à de possibles tensions quant aux stocks d’ARV indispensables aux personnes vivant avec le VIH. « En effet, le Kaletra®, un antirétroviral testé actuellement dans plusieurs essais cliniques menés sur la recherche d’un traitement contre le Covid-19, pourrait notamment être plus difficilement accessible aux personnes vivant avec le VIH, de même que d’autres ARV qui pourraient subir des difficultés de production », affirme Aides.
L’association est également en alerte face à un possible risque de pénurie de préservatifs, dont l’usage pourrait grimper en flèche au moment du déconfinement. « En Malaisie, la société Karex, qui fabrique un quart des préservatifs dans le monde, a cessé sa production du fait des mesures de protection liées au Covid-19, déplore Aurélien Beaucamp. Nous avons donc interpellé l’ANSM [1] sur l’état des stocks et les risques de pénurie. Mais nous n’avons pas reçu de réponse précise. »
« Le temps leur paraît long »
Ce risque de pénurie n’est pas le seul motif de préoccupation des associations durant le confinement. Nombre d’entre elles se mobilisent pour que les situations d’isolement, souvent déjà très fortes pour une majorité de personnes vivant avec le VIH, ne s’aggravent pas. « Un grand nombre de nos bénéficiaires sont très isolés et le temps leur paraît long, explique Eva Sommerlatte, directrice du Comité des familles (Paris). Ils sont particulièrement inquiets pour leur santé, d’autant que beaucoup d’entre eux présentent d’autres problèmes de santé que l’infection par le VIH. Ils évitent au maximum de sortir, au point, pour certains, de ne pas aller chercher leur traitement. »
Ce problème de la solitude est à prendre très au sérieux, selon le psychiatre Serge Hefez [2]. « Le confinement est bien sûr difficile à vivre pour les personnes qui en temps ordinaire sont déjà très en retrait de la vie sociale, affirme-t-il. On a régulièrement au téléphone des gens qui avaient beaucoup recours à l’aide des associations pour leurs repas du midi ou du soir. Outre l’aide alimentaire, c’était aussi une façon de maintenir un lien social, qui leur manque forcément aujourd’hui. »
Les associations sont conscientes du problème. « Nous effectuons les courses urgentes pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer ou qui sont sans revenus, témoigne Stéphane Criédlich, coordinateur de l’association Actis (Saint-Étienne). Nous avons connu le cas d’une personne qui a été hospitalisée à cause du Covid-19. Quand cette personne est rentrée chez elle “en quarantaine”, nous nous sommes occupés de ses courses et de ses affaires urgentes. »
L’association Vivre a aussi maintenu des visites à domicile et pas uniquement pour les courses. « On distribue des attestations préimprimées, car certaines personnes ne savent ni lire ni écrire ou n’ont pas les moyens de les faire imprimer », explique Éric Raja.
Une veille sanitaire par téléphone
Malgré le confinement, acteurs associatifs et bénévoles demeurent sur le pont. Certes, tous les lieux d’accueil sont fermés, mais de nombreux échanges se font par téléphone ou via Internet. « Nos salariés et nos bénévoles effectuent une veille sanitaire par téléphone auprès de plus de 200 personnes isolées et vulnérables, dont les trois quarts ont plus de 50 ans, indique Vincent Bertrand, directeur général de l’association Les Petits Bonheurs (Paris). On les contacte pour les rassurer, leur rappeler notre présence malgré la distance physique et s’assurer qu’il n’y a pas de rupture dans le parcours de soins. »
De son côté, le Comité des familles a maintenu certaines activités à distance. « Il s’agit de deux groupes de parole par semaine via un système de conférence téléphonique avec une participation de maximum huit personnes. Ils sont coanimés par les deux coordinateurs de notre programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP), explique Eva Sommerlatte. L’objectif est d’apporter des connaissances sur le virus et/ou le confinement, de renforcer les compétences pour passer au mieux cette période, de lutter contre l’isolement et de prévenir au mieux les décompensations psychologiques. »
Pour sa file active des personnes migrantes qui suivent ses cours de langue française (FLE), l’association Actis a mis en place un groupe WhatsApp. « Et une bénévole entretient le lien avec tous les membres du groupe », souligne Stéphane Criédlich.
Aujourd’hui, les acteurs de la lutte contre le VIH/sida sont loin d’être confinés. Ils sont bien conscients de l’épreuve que traversent ces hommes et ces femmes qu’ils accompagnent tout au long de l’année. « L’isolement des personnes est encore plus prégnant et les problématiques sociales sont exacerbées, conclut Vincent Bertrand. Le mot ‘virus’ n’est pas un très bon souvenir pour les personnes séropositives. Chez certaines, cela provoque un rappel à la mort. »
[1] Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
[2] Il dirige également le réseau de santé Espas (Espace social et psychologique d’aide aux personnes touchées par le virus du sida).
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