À Denver, en 1983, des personnes vivant avec le VIH participant à une conférence médicale, firent irruption sur scène pour protester contre le discours déshumanisant répandu dans le monde médical. Leur cri de ralliement : « Puisque vous ne pouvez rien faire pour nos vies, écoutez au moins ce que nous avons à en dire ! ». Sans certainement le savoir, ils posèrent une des premières pierres de l’activisme sida mais aussi de ce qui plus tard allait devenir la démocratie sanitaire (ou démocratie en santé).
« Les Principes de Denver », issus de leur protestation, se confortèrent encore avec le fameux slogan porté par les personnes handicapées « rien pour nous sans nous ». Ils furent ensuite largement repris par les associations de patients à travers le monde. Ils s’institutionnalisèrent internationalement plus de dix ans après au travers des Principes GIPA (Greater Involvement of People living with AIDS) adoptés par quarante-deux pays.
Principes de Denver [1985]
Cette déclaration a été publiée en juin 1985 dans le premier numéro de Newsline, la revue éditée par la Coalition des personnes atteintes du Sida (People With AIDS, PWA). Elle a été reproduite dans le numéro spécial d’October, « AIDS : Cultural Analysis/Cultural Activism » en 1987. Ce texte faisait alors partie d’un ensemble d’articles, de lettres et de documents photographiques issus de Newsline et réunis pour l’occasion par Max Navarre. Traduction française : Le Magasin, C.N.A.C. de Grenoble, 2003, dans AIDS RIOT. Collectifs d’artistes face au sida, New York 1987-1994.
Nous condamnons ceux qui tentent de nous étiqueter comme « victimes », terme qui implique la défaite et nous nous considérons seulement occasionnellement comme « patients », terme qui sous-entend la passivité, l’impuissance et la dépendance envers les autres. Nous sommes des « personnes atteintes du Sida ».
Nous recommandons aux professionnels de la santé :
- Qui sont gais, de le faire savoir, en particulier à leurs patients qui ont le Sida.
- De toujours clairement identifier et discuter la théorie qu’ils privilégient pour expliquer le Sida, car cette optique affecte le traitement et les conseils qu’ils donnent.
- D’être à l’écoute de leurs émotions (craintes, anxiétés, espoirs, etc.), et de ne pas simplement traiter le Sida de manière intellectuelle.
- De faire le point sur soi, d’identifier et de revoir leurs approches du Sida.
- De traiter les personnes atteintes du Sida comme des personnes à part entière et de prêter autant d’attention aux questions psychologiques que biophysiques.
- D’aborder la question de la sexualité des personnes atteintes du Sida de manière spécifique, sensible, en étant informé sur la sexualité homosexuelle en général et sur la sexualité des personnes atteintes du Sida en particulier.
Nous recommandons à toutes les personnes :
- De nous soutenir dans notre lutte contre ceux qui voudraient nous licencier de notre travail, nous expulser de notre logement, ceux qui refusent de nous toucher, qui nous séparent de nos proches, de notre communauté, de nos pairs, puisqu’il n’y a pas de preuve que le Sida puisse se propager par simple contact social et quotidien.
- De ne pas prendre les personnes atteintes du Sida comme des boucs émissaires, de ne pas nous faire porter la responsabilité de l’épidémie et de ne pas diffuser de généralités sur nos modes de vie.
Nous recommandons aux personnes atteintes du Sida :
- De former des comités afin de choisir leurs propres représentants, de s’adresser aux médias, de définir leurs objectifs et de clairifier leurs stratégies.
- D’être impliquées à chaque niveau des prises de décision sur le Sida et tout particulièrement d’être membre des comités de direction des organisation de soutien.
- D’être inclues dans tous les forums sur le Sida, à statut égal avec les autres participants, afin de partager leurs propres expériences et connaissances.
- De remplacer par des comportements sexuels à faibles risques ceux qui pourraient les mettre en danger ainsi que leurs partenaires ; de plus, nous pensons que les personnes atteintes du Sida ont une responsabilité éthique d’informer leurs potentiels partenaires sexuels de leur état de santé.
Les personnes atteintes du Sida ont le droit :
- À une vie sexuelle et émotionnelle aussi complète et épanouie que n’importe qui d’autre.
- À une qualité de traitement médical et de soutien social, sans discrimination d’aucune sorte, concernant l’orientation sexuelle, le genre, le diagnostic, le statut économique, l’âge ou la race.
- À des informations complètes sur tous les risques et procédures médicales, elles ont le droit de choisir ou de remettre en question leurs modalités de traitement, ou encore de refuser de participer aux tests sans pour autant mettre leur traitement en péril ainsi que de prendre des décisions averties sur leur vie.
- À la vie privée, à la confidentialité des rapports médicaux, au respect humain et au choix de ceux qui comptent dans leur vie.
- De mourir et de vivre dans la dignité.
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