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14.06.2018

Comment proposer la PrEP VIH aux personnes migrantes ? Avec Séverine Carillon

Sandra : On va parler de la PrEP. C’est quoi Yann ?

Yann : La PrEP, c’est juste énorme. C’est un médicament qui permet d’être protégé quand on va dans des relations à risque, je dirai, ou plusieurs partenaires, voilà. En gros c’est ça, on prend un médicament qui nous protège des excès qu’on va faire.

Sandra : Qui protège du VIH. Et pas des autres infections sexuellement transmissibles. Effectivement, c’est un médicament qu’on prend avant et après le rapport sexuel. Un nouveau moyen de prévention, qui n’est pas si nouveau que ça, ça fait quand même des années qu’on en parle. Mais bon, ce n’est pas non plus très courant. Il a été proposé en premier dans la population gay ou HSH on dit, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Et là aujourd’hui, on se dit pourquoi pas étendre aux personnes migrantes…

Yann : Il était ouvert aussi aux personnes travailleuses du sexe.

Sandra : Oui, c’est vrai, mais quand même, c’était vraiment plus en direction des personnes gays et HSH. Quand on voit les statistiques, il y a beaucoup plus de prescriptions dans cette population en fait. Donc, que se passe-t-il Séverine ? Pourquoi proposer aux personnes migrantes ? J’ai quelques données mais peut-être que vous aussi, vous avez des choses à dire. Moi, comme informations j’ai que les personnes ne sont pas dépistées assez tôt. Il se passe en moyenne 3 – 4 ans entre l’infection VIH et le dépistage. L’épidémie cachée tourne autour de 20 000 personnes. Le taux est très élevé dans les DOM (Département d’Outre mer) et en IDF (Ile-de-France). Chez les hétérosexuels nés à l’étranger, le dépistage est beaucoup plus tardif. C’est comme ça depuis des années. La PrEP serait-elle la solution pour améliorer le dépistage dans la population migrante ? Et pouvez-vous définir ce qu’on appelle une personne migrante ?

Séverine Carillon : Je vais commencer par votre deuxième question. C’est quoi une personne migrante ? Il y aurait pléthore de définitions évidemment. Là, en l’occurence, moi je vais essentiellement parler des personnes nées à l’étranger et qui sont arrivées en France plus tard dans leur parcours de vie. On peut distinguer, alors je fais juste une distinction sommaire entre des personnes qui sont installées en France depuis plusieurs années, que je vais distinguer des personnes primo-arrivantes, c’est-à-dire qui viennent d’arriver en France depuis moins de 6 mois. Donc qui débarquent en France et qui ne sont pas forcément encore ni installées, donc ce que j’entends par installation, c’est avoir un logement, un travail et un titre de séjour (ndlr). Dans mon propos, je vais essayer de distinguer ces deux populations-là, en sachant qu’effectivement le terme de migrants c’est un peu un fourre-tout. Ca comprend énormément de situations diverses et variées. Moi, je travaille essentiellement sur les populations migrantes originaires d’Afrique subsaharienne.

Sandra : Vous avez fait une étude pour identifier quels sont les freins à la PrEP en direction des personnes migrantes en France. Je ne sais pas si on aura le temps de tous les détailler mais commençons déjà par la difficulté pour les soignants d’accéder à ces migrants. Donc déjà, les personnes migrantes, c’est difficile à définir, mais en fait, il y a un problème, c’est difficile d’atteindre ces personnes qui sont nées l’étranger et qui ne sont pas dépistées. Pourquoi ?

Séverine Carillon : Effectivement. Ce qui se passe avant-tout, c’est qu’on a des études très récentes en France qui montrent bien les populations originaires d’Afrique subsaharienne, entre 35 et 49% d’entre elles, s’infectent en France. C’est une donnée assez importante, ce qui montre bien qu’on a des personnes qui s’infectent après leur arrivée en France, donc dans le contexte d’immigration et donc on a une vraie nécessité de renforcer la prévention auprès de ces migrants originaires d’Afrique subsaharienne. En fait, à partir de là, on se demande effectivement, pourquoi est-ce qu’on ne proposerait pas, est-ce que la PrEP pourrait être un outil adéquat pour ces populations-là ? Dans quelle mesure on peut leur proposer, dans quel contexte, etc ? C’est un peu les questions qui m’ont préoccupées. Ce qu’on constate, à l’heure actuelle, c’est qu’il existe des consultations de PrEP en France, ce qu’on n’a pas dit tout à l’heure mais qui est peut-être important de rappeler pour les auditeurs et auditrices, c’est que la PrEP, c’est sous prescription médicale à l’hôpital ou alors dans les centres de dépistage, les Cegidd (centre de dépistage et de diagnostic des IST). Pour avoir accès à la PrEP, il faut donc se rendre à l’hôpital ou dans un Cegidd pour avoir une prescription et donc, si vous voulez, il y a forcément une démarche de soins à entreprendre. Et en fait, ce qu’on constate à l’heure actuelle, c’est qu’effectivement, Sandra l’a rappelé tout à l’heure, c’est que dans les consultations PrEP, qui sont essentiellement des consultations hospitalières, on a 98% d’hommes et d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). Les migrants sont les grands absents de ces consultations. On n’a pas de migrants à l’heure actuelle, très peu dans les consultations PrEP. Partant de ce constat en fait, moi, il m’a été demandé par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) de faire un état des lieux, d’identifier les freins à l’accès des migrants à la PrEP.

A partir de là, comme le disait Sandra, un de mes premiers constats, c’est cette difficulté d’accéder à la population. D’abord, la première question c’est à qui on s’adresse ? Et là je reviens sur la question de quelle population migrante on parle ? Est-ce que ce sont les migrants installés en France ? Je ne reviens pas sur la définition. Est-ce que ce sont les primo-arrivants ? Des personnes qui débarquent sur le territoire français ? Ou est-ce que ce sont les deux ? Donc ça, c’est une première question parce qu’on a tendance à parler des migrants sans spécifier de qui on parle. Une vraie difficulté d’accéder à ces populations. Ce qui a été mis en place depuis quelques mois voire quelques années en France, faut savoir qu’en France, la PrEP a été mise sur le marché en 2016, donc ça fait 2 ans que les choses se mettent en place, là, pour les populations migrantes, ce qui se passe, c’est qu’on a des vraies initiatives qui se sont mises en place, notamment par des soignants mais vraiment en partenariat avec des associations de migrants, je pense notamment à Afrique Avenir, qui est très sollicité pour justement d’abord réfléchir à ces questions d’accès des migrants à la PrEP et puis en plus, ensuite de savoir comment on peut d’abord les informer que la PrEP existe et leur proposer la PrEP. Deux choses liées mais différentes.

Yann : Du coup, quand on propose une PrEP, je pense qu’en amont il y a peut-être un TROD ou un dépistage ?

Séverine Carillon : Afrique Avenir fait du TROD, a son camion dans différents lieux en France. Par exemple, si au moment du TROD, la personne est séronégative et est identifié à haut risque d’infection, à ce moment-là, on peut lui parler de la PrEP, donc lui expliquer que ça existe. Il existe quelques documents, assez peu et peu diffusés présentant la PrEP, avec des documents qui s’adressent également aux populations migrantes originaires d’Afrique subsaharienne, avec les éléments essentiels sur la PrEP. A ce moment-là, il peut avoir ces documents, de proposer aux personnes qui viennent se faire dépister et puis on a évidemment les trodeurs qui peuvent parler de la PrEP et donc qui peuvent orienter vers les lieux où il y a la PrEP. Maintenant, entre un TROD dans la rue, dans un camion, à un instant T et la démarche d’aller dans un hôpital, rencontrer un médecin, etc, là-dessus, il y a sans doute un gap et un parcours qu’on est en train de travailler mais qu’il faut vraiment penser. Effectivement, on passe difficilement d’un dépistage dans la rue à une démarche de soins. Donc il y a un accompagnement à penser, etc. Ca, il y a vraiment…

Mohamed : C’est ça que je voulais comprendre Séverine par rapport à l’accès des migrants. Est-ce que ça ne se substitue pas à la trithérapie ? Ou alors…

Sandra : Attention Mohamed, c’est pour les séronégatifs. Ce n’est pas pour les séropositifs.

Mohamed : Justement, c’est ça que je voulais comprendre.

Séverine Carillon : La PrEP, elle est proposée à des personnes séronégatives qui ne sont pas infectées par le VIH. La trithérapie, c’est pour les personnes qui sont infectées par le VIH.

Mohamed : C’est spécifiquement en cas de relations sexuelles…

Séverine Carillon : Non protégées, à risques, etc.

Mohamed : Multi-partenaires ou autres. D’accord. Je pensais que c’était administré aux personnes malades.

Séverine Carillon : Absolument pas. Les personnes à qui c’est proposé, sont des personnes négatives.

Mohamed : Et le délais ? Il faut faire deux prises ?

Séverine Carillon : Effectivement, sur le schéma des prises, alors pour les hommes et pour les femmes, c’est différent. Pour les hommes, il y a la possibilité de prendre la PrEP, ce qu’on appelle à la demande, c’est-à-dire qu’en discontinu, on peut dire que par exemple, ce soir tu vas prendre des risques et tu vas pouvoir prendre un comprimé minimum 2 heures avant la prise de risque, et tu vas reprendre un comprimé ensuite 24 après, puis 48h après. Ensuite, si tu ne prends aucun risque pendant 1, 2 mois, tu peux arrêter complètement le traitement. Ca, c’est ce qu’on appelle la PrEP à la demande. En tant qu’homme, tu peux aussi la prendre en continu, c’est-à-dire un comprimé par jour.

Pour les femmes, c’est différent, il n’existe pas de schéma de prise à la demande. Pour les femmes, c’est forcément en continu. Ca veut dire que c’est un comprimé par jour qui doit être pris. Le schéma à la demande n’est absolument pas recommandé pour les des femmes dans la mesure où en fait, l’efficacité du traitement, elle peut être insuffisante, d’après ce qu’on sait actuellement, d’après les données qu’on a actuellement, le traitement met plus de temps à passer dans le sang, donc, on est vraiment sur deux schémas différents.

Yann : Quel est le pourcentage de protection par rapport au VIH quand on prend de la PrEP ?

Séverine Carillon : Les études montrent en gros qu’il y a une diminution de 90% du risque d’infection, je crois.

Yann : Avec malheureusement une augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST).

Séverine Carillon : C’est effectivement important de le rappeler une fois de plus, Sandra l’a dit tout à l’heure, la PrEP protège uniquement du VIH, absolument pas des IST type gonorrhée, condyloms, etc. Ce qui se passe, c’est qu’à partir du moment où vous prenez la PrEP, certes vous êtes protégés du VIH mais absolument pas des IST.

Yann : Donc, préservatif.

Séverine Carillon : En fait l’idée, c’est que la PrEP vient se combiner. C’est un outil complémentaire de prévention. Et donc, elle vient s’ajouter aux autres outils type préservatif, dépistage régulier, traitement comme prévention, etc.

Yann : C’est pour ça que c’est révolutionnaire et merveilleux que ça existe.

Mohamed : Je ne comprends pas qu’il n’en parle pas plus.

Yann : Ah si, si, on en parle de la PrEP.

Sandra : Nous, on en entend parler parce qu’on est dans le domaine. Mais c’est vrai que le grand public pour l’instant…

Yann : Et en plus, on voit au Comité des familles l’angoisse avec le public que nous avons qui est aussi un public africain, beaucoup subsaharien, à l’annonce de devoir prendre un médicament à vie, ne serait-ce que ça. C’est tellement pas culturellement dans leurs habitudes. J’avoue qu’il y a un travail énorme à expliquer, comment se protéger en prenant un médicament avant l’acte sexuel, en plus ce sont des personnes pour certaines qui ont aussi parfois un mal fou avec les préservatifs. Est-ce ce qu’il y a des stratégies particulières ? Vous êtes ethnologue vous-même ? Je pense que connaitre les spécificités culturelles, historiques, de chaque pays est très important non ?

Séverine Carillon : Oui, alors en fait, il y a plusieurs choses. Je dirai qu’avant de connaitre les spécificités culturelles, je pense qu’avant-tout, ce qui est déterminant, c’est le contexte de vie des individus. C’est leur conditions, l’environnement social, économique, qui pèsent avant-tout là-dessus. Là, je pointe la précarité. Qu’on soit Afghan, Malien ou Sénégalais, ce qui est déterminant avant-tout c’est le parcours migratoire et surtout, les conditions de vie dans lesquelles on vit en France. Je pense que c’est ça l’élément déterminant. Après, sur les questions de médicaments, juste précision, la PrEP ce n’est pas un médicament à vie. Vous pouvez le prendre, pour les hommes à la demande et pour les femmes ça peut 2, 3, 6 mois, 1 an, 2 ans. Elles peuvent l’arrêter, le reprendre plus tard, il y a cette flexibilité-là qui est quand même importante. Après, ce que vous pointez sur la question du médicament en elle-même et les réticences qu’il peut avoir, ça, ça me parait tout à fait important parce que moi, ce que j’ai pu voir à partir de la petite étude que j’ai faite où notamment j’ai pu suivre des consultations médicales à l’hôpital de Montreuil avec le docteur Penaud qui commence à mettre des migrants et des migrantes sous PrEP, notamment des travailleuses du sexe, souvent originaires du Nigeria essentiellement, parce qu’il y a un gros réseau, au bois de Vincennes, dont on essaye de les suivre notamment à l’hôpital de Montreuil. Et en fait, ce qui se passe, c’est que ces femmes-là, avant-tout, il faut bien savoir que pour elles, la priorité, ce n’est pas la PrEP, ce n’est pas nécessairement le VIH. La première peur c’est de tomber enceinte. Donc la première demande c’est le test de grossesse. Ensuite, la contraception n’est pas une demande mais c’est ce qu’on leur propose à l’hôpital, avec toutes les peurs que ça engendre, parce que souvent des confusions entre contraception et fertilité, etc. Et la deuxième demande, c’est les IST. A la limite, la peur du VIH vient plutôt après. On sait aussi que ces femmes se protègent la plupart du temps. Les études le montrent bien, elles sont dans des relations, dans le cadre de leur profession, dans des relations protégées et que finalement, souvent quand elles attrapent le VIH c’est dans des relations avec leur partenaire régulier. Pour ces femmes-là, la priorité, ce n’est pas la PrEP. Peur des IST, peur de tomber enceinte puis vient la PrEP. Ce n’est pas une demande en soi.

Yann : Oui, c’est un travail de longue haleine que vous leur amenez comme ça.

Séverine Carillon : C’est ça qui est important. Autant chez les HSH, on a une population très réactive qui veut de la PrEP. Et donc finalement, on peut les mettre sous PrEP assez rapidement. La PrEp intervient comme une entrée dans le circuit de soins. Ils viennent parce qu’ils veulent de la PrEP. Alors que les populations migrantes originaires d’Afrique subsaharienne, etc, parmi celles que j’ai pu rencontrer, essentiellement des travailleuses du sexe, elles viennent dans les soins, elles arrivent en consultation médicale avant-tout pour un problème d’IST ou pour une demande de contraception éventuellement.

Sandra : C’est intéressant, elles parlent des IST mais, le VIH aussi c’est une IST. Donc du coup, elles mettent le VIH ailleurs ?

Séverine Carillon : Non, quand même pas. Elles ne le mettent pas ailleurs, c’est compris dedans, mais ce qui se passe c’est que le VIH, elles en entendent quand même beaucoup parler par notamment AIDES qui fait beaucoup de dépistage, notamment au bois de Vincennes, mais pas que, auprès de ces populations-là. Ce sont des populations très informées sur le VIH.

Yann : Et sur la protection, parce que ce sont des femmes qui souhaitent vraiment se protéger et qui savent comment elles se mettent en risque.

Sandra : Les soignants expriment aussi ces difficultés, comment justifier cette prise de médicaments ? Parfois c’est même assez violent finalement de parler de la PrEP à ces personnes puisqu’il y a un besoin de logement ou autre. Les soignants parlent de la PrEP et il y a un décalage entre le besoin, la demande, c’est difficile.

Séverine Carillon : Il y a plusieurs choses. D’une part, sur les soignants, à l’heure actuelle, il y a encore assez peu d’informations mais ce sont des questions qui se posent réellement sur l’adhésion des soignants à la PrEP, avant tout. Effectivement, dans le petit milieu du VIH où on a des soignants qui travaillent dans le VIH depuis longtemps, qui suivent des patients depuis longtemps, voire qui sont militants, il y a une certaine adhésion à la PrEP. On le sait. Maintenant, en dehors de ce petit cercle, qu’est-ce qu’en pensent les soignants ? Quelles sont leurs représentations de la PrEP ? Est-ce qu’ils sont prêts à la prescrire ou pas ?

Sandra : Je m’en rappelle, j’avais assisté à un débat, avec des soignants qui n’étaient pas du tout dans le domaine du VIH, ils étaient complètement choqués par la PrEP.

Séverine Carillon : Et d’autant plus choqués parce que ce qu’on n’a pas dit, c’est que la PrEP aujourd’hui en France est remboursée par la sécurité sociale à 100% et est également gratuite dans les Cegidd, et pour les migrants, elle est accessible pour ceux qui ont une aide médicale d’Etat.

Yann : C’est vrai qu’à la sortie de la PrEP, on était tous un petit peu effarés quand même.

Sandra : Moi, je le suis toujours (rires).

Yann : Oui, parce que tu es honnête, plus que moi, (rires). C’est une prévention supplémentaire, voilà. A partir de ça, il faut l’accepter. Mais effectivement, on peut comprendre que c’est aussi un luxe des pays riches, si vous voulez. Parce que quand on voit les différences qu’il y a et les pays où il n’y a pas du tout d’accès aux soins facile ou de rupture de traitement, enfin, on sait tout ce qui se passe en Afrique, on est quand même… alors en plus, est-ce qu’il n’y a pas un abandon du préservatif ? Mais, rappelez-vous, il y avait aussi l’autotest qu’on peut faire à la maison, qui avait été décrié comme quoi les gens allaient se jeter par la fenêtre, ça reste une prévention en plus.

Mohamed : Moi, je constate qu’il y a toujours des freins, des réticences. Je me souviens avec le programme ICCARRE, ils avaient du mal à le mettre en place.

Sandra : Le programme ICCARRE, je rappelle, c’est pour les personnes séropositives, c’est prendre une trithérapie pas tous les jours mais 5 jours sur 7 puis 4 jours sur 7, etc.

Mohamed : Sur ce domaine, il y avait des médecins qui étaient réticents.

Yann : Mais quand on est passé du cheval à la voiture, ça a fait peur aussi (rires).

Mohamed : Non mais, je ne comprends pas qu’on n’en parle pas assez.

Sandra : Bon, ça fait depuis 2016 qu’en France c’est vraiment sur le marché. Ca fait longtemps qu’on en parle mais en France c’est que depuis 2016. Faut le temps.

Séverine Carillon : Je vais revenir sur la question que vous disiez Yann, sur la question du luxe. Est-ce que c’est un luxe des pays du Nord ? J’irai même plus loin, la question c’est, dans les pays du Nord, est-ce que ce n’est pas aussi un luxe des populations sous PrEP à l’heure actuelle, qui sont plutôt des populations insérées socialement, de milieu plutôt favorisés. Même dans les populations qui ont accès à la PrEP aujourd’hui, on sait que c’est une population relativement homogène, qu’il s’agit d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et qui sont socialement insérés. Justement, la question des populations précaires, c’est là que la question se pose en fait. Est-ce que ce n’est pas un luxe non seulement des pays du Nord mais dans les pays du Nord, des populations qui ont accès aux soins, qui sont dans un système de santé, qui ont une assurance maladie, voire une mutuelle, etc.

Sandra : Oui, parce que, finalement cette PrEP, quand elle est proposée, le parcours des personnes migrantes n’est pas pris en compte. On va proposer le médicament mais on ne se pose pas la question comment la personne va prendre ce traitement ? Est-ce qu’elle va vraiment pouvoir la prendre, c’est compliqué, si elle n’a pas de logement…

Yann : C’est un cachet avant et après le rapport sexuel. Je ne trouve pas que ce soit très difficile à prendre.

Séverine Carillon : Je pense que, avant la question de l’observance, je pense que, j’allais dire pour l’instant on n’en est même pas encore là. Ce qu’on sait et qui n’est pas du tout propre à la PrEP, c’est que de fait, quand on a un médicament à prendre tous les jours mais qu’on vit dans des conditions de précarité extrême, de fait, là on est sur la question de la prévention dans un contexte de précarité qui se pose, évidemment que la PrEP vient renouveler cette question-là, comment faire de la prévention, comment prendre des médicaments aussi dans la précarité. Une fois de plus, de quel migrant on parle ? Quand on parle de migrants installés, à partir du moment où eux se sentent à risque et qui sont favorables à la PrEP… il y a des études qui montrent qu’il y a une acceptabilité a priori de la PrEP, c’est-à-dire que quand on en parle à des migrants, il y a une compréhension évidemment mais surtout ils se disent pourquoi pas. Donc plutôt une perception positive de la PrEP mais après, dans la mise en oeuvre, on a très peu de données. Moi, ce que j’ai pu constater c’est qu’il y a une vraie peur notamment des femmes à prendre un médicament tous les jours parce qu’il y a une confusion entre la PrEP prévention, la pilule, le risque de fertilité. Les discours que j’ai recueillis c’est, j’ai peur, est-ce que je vais pouvoir tomber enceinte si je prends la PrEP ? Il y a une confusion, il va falloir travailler là-dessus. Je pense que ce qui est important c’est à la fois de prendre en compte ces réticences-là et aussi évidemment les conditions de vie des individus. On peut aussi se poser la question de comment proposer, et je rejoins ce qu’a avancé Sandra tout à l’heure, mais comment est-ce que des soignants peuvent proposer de la PrEP, donc un médicament à prendre tous les jours contre le VIH à des populations qui vivent dans des situations où leur priorité à elles ce n’est pas le VIH. Leur priorité c’est manger, c’est se loger. Donc à partir de là, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on médicamente avant même d’accueillir ? Je dis ça de manière un peu provocatrice.

Sandra : Je me rappelle d’un témoignage au Comité des familles d’une personne migrante qui dormait dans des centres d’hébergement, des grands dortoirs et elle a expliqué qu’elle s’est fait voler ses médicaments deux fois. C’est une personne séropositive. Mais je veux dire, pour les personnes séronégatives migrantes qui doivent prendre cette PrEP, si elles sont dans des centres d’hébergement, c’est difficile. C’est pour ça que je disais, les conditions de logement, c’est important pour pouvoir prendre un médicament en toute sécurité.

Yann : Oui, enfin on est tous d’accord sur le “Paris sans sida” comme le cri haut et fort Anne Hidalgo, il ne peut se faire que si on commence par travailler sur la misère sociale des personnes qui sont infectées ou pas. Je pense que la première des choses est de pouvoir les recevoir dignement.

Séverine Carillon : Quand on propose à une personne la PrEP, on lui propose aussi un accompagnement communautaire. Il y a des acteurs associatifs qui sont là, qui reçoivent les personnes qui veulent de la PrEP, en dehors de la consultation médicale, en entretien pour justement reprendre les questions que ça suscite, etc, reprendre les schémas de prise et d’observance, mais donc il y a un vrai accompagnement qui est pour le coup vraiment une plus-value en plus du suivi médical…

Yann : Il y a un questionnaire d’ailleurs assez pointu, qui doit aussi poser problème aux personnes qui n’ont pas l’habitude de parler d’une sexualité… Moi, je me rappelle qu’il y avait même, il y a très longtemps, j’avais eu un questionnaire une fois où j’avais poussé la porte de AIDES, et sur les questionnements, j’étais un petit peu choqué, tellement on nous demandait nos pratiques sexuelles, le nombre de partenaires, voilà. Surtout que c’était un premier entretien d’accueil, je ne trouvais pas ça utile. Mais oui, pour la PrEP, c’est peut-être important.

Séverine Carillon : Oui, mais une fois de plus la PrEP, pour les migrants, arrive dans un parcours de soins qui est déjà finalement amorcé. Je disais tout à l’heure pour les HSH, la PrEP est une porte d’entrée dans le système de soins mais pour les migrants, ce qu’on constate pour l’instant, en tout cas ce que j’ai pu voir sur mon terrain de recherche, ce n’est pas la porte d’entrée la PrEP. Elle arrive plus tard dans le parcours de soins. La porte d’entrée c’est potentiellement les IST, c’est je suis enceinte, c’est je veux avorter, mais ce n’est pas la PrEP. La PrEP, elle va arriver au bout de 3, 4, 6 consultations médicales. Ca prend beaucoup plus de temps. Les soignants ont parlé tout à l’heure des difficultés des soignants. Je pense qu’avant tout il y a la difficulté de pouvoir communiquer autour de la PrEP. Qu’est-ce qu’on dit, en quel terme ? On a vraiment un manque d’élément de langage. Pour le coup, c’est des soignants qui me l’ont bien spécifié. Et puis qu’est-ce que ça veut dire de proposer la PrEP à des individus quand on sait que leur premier besoin ce n’est pas le VIH. Et effectivement, Sandra a rappelé tout à l’heure ce que moi j’ai pu évoquer suite à des entretiens avec des soignants, c’est la question de la violence d’une proposition de PrEP quand le besoin des individus est avant tout social et économique. Ca, c’est pour les réticences des soignants.

Yann : Est-ce que vous arrivez à aller dans les foyers de migrants ? Parce que c’est vrai que nous, on attend que ça. On déjà fait des formations au Comité des familles pour les TROD. Je ne sais plus quelle accréditation on attend, on sait que c’est Bruno qui s’en occupe et c’est son cheval de bataille. On lui fait confiance. Pourquoi faire du TROD ? C’est pour essayer de dépister le maximum de personnes. Donc aller directement à la rencontre de ces populations. Je sais que c’est vraiment quelque chose qui nous tient à coeur en tant que militant associatif.

Mohamed : Les gens ne se sentent pas concernés par le VIH. Donc ils doivent être dur à convaincre et à accepter, la prise de la molécule.

Yann : C’est à nous de faire notre boulot quoi.

Séverine Carillon : C’est une question, ils ne sentent pas concernés, ils ne sentent pas forcément identifiés comme population à risque. Ils ne s’identifient pas comme population à risque. On a peut-être un effet secondaire du fait d’avoir eu une offre de PrEP très centrée sur les HSH, c’est que la PrEP est perçue dans certains milieux de migrants originaire d’Afrique subsaharienne comme étant le médicament des homos et que “moi je ne suis pas homo donc je n’en veux pas”. Alors attention, c’est une représentation parmi d’autres. Il peut avoir des préjugées par rapport à ça.

Sandra : Ce n’est pas étonnant. Le VIH a longtemps collé à la peau des personnes homosexuelles, donc, ça m’étonne pas que la PrEP c’est que pour les homos. Tout a été fait pour.

Mohamed : Au début, tu disais que c’était réservé aux homos.

Sandra : Oui, oui.

Séverine Carillon : Ca ne leur est pas réservé mais il se trouve que ça a été le public cible et que toutes les études qui montrent l’efficacité de la PrEP en terme d’efficacité clinique sont des études qui portent sur les HSH. Effectivement, on sait en France qu’on a cette épidémie VIH HSH. On en a une autre qui est l’épidémie des migrants. J’ai envie de dire il y a deux épidémies différentes. Donc à partir de là, dans l’offre de soins qu’on propose, il faut se poser la question de si on veut diversifier le public, c’est-à-dire, non plus seulement les HSH mais aussi déployer la PrEP à un plus large public, type les migrants, est-ce qu’il ne faut pas aussi diversifier l’offre ? Je me suis bien rendu compte sur le terrain, c’est que finalement l’offre de PrEP est centrée sur les homos, il y a un accompagnement qui est extrêmement bien fait par des communautaires mais l’accompagnement est essentiellement sur des questions de sexualité, de prise de risque, de drogues, etc. Pour les migrants, l’accompagnement va sans doute se faire plus sur des questions sociales, économiques et beaucoup moins sur l’usage de drogues. Il faut adapter tout ça, il faut aussi qu’on trouve les bons éléments de langage pour pouvoir parler à ces populations-là de ce médicament. Donc il y a tout un travail en terme de communication et puis évidemment d’offre de soins qu’il va falloir adapter à ces migrants.

Yann : Donc dans cette étude, vous allez les chercher où les migrants ?

Séverine Carillon : Alors, je ne fais pas une chasse aux migrants (rires). Je les rencontre soit par l’intermédiaire d’associations type Afrique Avenir ou Uraca. Donc des associations de proximité. Soit dans les lieux de soins. Le plus gros de mon terrain était au centre hospitalier de Montreuil et puis également directement sur les activités de dépistage avec AIDES par exemple, sur les activités de dépistage mobile au bois de Vincennes, où là on va directement rencontrer les travailleuses du sexe. AIDES propose un dépistage du VIH mais il y a également des actions qui sont faites en partenariat avec le Ceggid de Montreuil pour qu’on puisse proposer lors du dépistage dans le bois, un dépistage des IST également. Ca, c’est plus rare, parce que c’est plus technique, mais dans ce cas, ça veut dire qu’il y a une infirmière qui vient dans le camion et qu’on rajoute un spot de dépistage IST, ce qui marche extrêmement bien et ce qui permet surtout de créer un lien en plus avec ces travailleuses du sexe. Le résultat du dépistage IST n’est pas immédiat, ce n’est pas comme pour le TROD VIH. Donc il faut qu’elles viennent ensuite aller le chercher. Et ce dont on se rend compte, déjà AIDES les accompagne, ce qui évidemment simplifie les choses, et puis en fait, une fois que ces femmes arrivent à l’hôpital, ce dont on a pu se rendre compte récemment, il s’agit juste de quelques cas, on n’est pas sur du représentatif, mais en tout cas, ces femmes viennent une fois, deux fois, trois fois, elles reviennent. Pas pour la PrEP, mais elles reviennent pour des questions d’IST, la contraception, etc. On pense que là, on a sans doute un élément clef.

Mohamed : Les travailleuses du sexe, certaines sont assez sérieuses par rapport à leur prévention. Il y a deux sortes, celles qui s’en foutent et celles qui font attention.

Sandra : Je ne pense pas.

Séverine Carillon : Je ne pense pas qu’il y ait que deux sortes mais en tout cas…

Mohamed : Non mais il y en a qui se préservent moins. Il y a en d’autres qui font ça sans, qui ne veulent pas parler…

Séverine Carillon : Sur cette question des travailleuses du sexe, une des questions qu’il faut qu’on se pose, c’est qu’elles sont dans une sexualité…

Yann : Violente.

Séverine Carillon : Potentiellement violente, qui est souvent subie plus que choisie. Leur vulnérabilité sexuelle, c’est avant tout une vulnérabilité sociale, ça veut dire qu’elles sont vulnérables sexuellement parce qu’elles sont vulnérables économiquement et que du coup leur sexualité, ce n’est absolument pas la même par exemple que chez les HSH. Je pense que là-dessus, il faut vraiment avoir en tête que la vulnérabilité sexuelle est vraiment issue d’une vulnérabilité économique, qu’on est souvent sur une sexualité souvent subie et à partir de là, on ne peut pas appréhender les choses de la même façon et c’est là où je pense que la PrEP a tout à fait son rôle à jouer, évidemment.

Mohamed : Oui, parce que c’est à risque quand même pour une travailleuse du sexe.

Sandra : Alors, on parle de la PrEP mais on ne parle même plus du préservatif, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce qu’on a abandonné l’idée du préservatif ? Est-ce qu’il y a moins d’efforts faits pour faire de la pub pour le préservatif ? Pourquoi les personnes migrantes n’utilisent pas le préservatif, puisqu’on constate qu’il y a des contaminations VIH beaucoup chez les personnes migrantes…

Yann : On ne leur a pas fait goûter le dernier tu sais, litchi-fraise (rires).

Séverine Carillon : Ce qu’il faut bien avoir en tête aussi c’est que, les contaminations parmi les migrants infectés en France, donc en situation de migration, on souvent lieu, et ça c’est l’étude Parcours qui le montre bien, aussi dans des situations où ce sont des femmes qui ont des rapports sexuels en échange par exemple d’un hébergement. Donc on est là encore sur une sexualité qui est sans doute assez subie ou en tout cas en échange d’un service. Donc la question du préservatif, c’est la négociation du préservatif. On sait qu’il y a beaucoup de contaminations qui ont lieu dans ces contextes-là. Et je pense qu’il faut vraiment aussi se poser la question, qu’est-ce qu’on leur demande aussi à ces femmes ? La négociation du préservatif, on sait que ce n’est pas évident, on sait que c’est souvent impossible. Il faut replacer ça aussi dans une situation de rapport de genre et de domination masculine. Quand on va mettre des femmes sous PrEP aussi, on peut se poser la question, là encore, la charge mentale de la prévention. Elles ont là encore une responsabilité de plus, la contraception, des rapports sexuels souvent subis, des violences sexuelles aussi. Dans quelle mesure on peut leur proposer d’ajouter un médicament. Je n’ai pas de réponse évidente là-dessus mais je pense que ce sont des questions qu’il faut se poser aussi.

Yann : Est-ce qu’il y a beaucoup de travailleuses du sexe qui utilisent et crient haut et fort le bien fondé du préservatif féminin ?

Séverine Carillon : Ce que je peux constater, il y a des données de terrain très empiriques qui sont qu’on voit bien que quand on arrive avec des préservatifs dans le bois de Vincennes, il y a vraiment un afflux de femmes qui viennent en prendre.

Sandra : Le préservatif féminin aussi ?

Séverine Carillon : Alors le préservatif féminin a beaucoup moins bonne presse. Le préservatif masculin, pour le coup, il a encore un grand succès et heureusement. On a des données qui montrent bien que l’usage du préservatif est encore tout à fait d’actualité. Il y a sans doute beaucoup moins de publicité à l’heure actuelle, on en parle beaucoup moins, sans doute malheureusement. Je pense aussi qu’il faut avoir en tête qu’il y a une question de contexte. On est sur une prévention de plus en plus biomédicale, avec le traitement comme prévention, que ce soit pour les personnes infectées ou non maintenant. Donc on est dans ce contexte de médicalisation de la prévention, qui est un contexte extrêmement important à prendre en compte aussi. C’est-à-dire qu’on est sur le médicament avant-tout. Quelque part, la pilule magique, qui n’a rien de magique évidemment, mais je pense que c’est important de rappeler qu’on a ce contexte-là de médicalisation mais qui ne doit pas et ça je pense que c’est tout à fait notre rôle et à bien d’autres d’appuyer sur le fait que le préservatif reste le moyen le plus sûr.

Mohamed : Ils en font des biens maintenant.

Sandra : Oui. On va devoir conclure sur la PrEP. J’avais écouté votre présentation, et votre conclusion c’était “on peut médicamenter mais aussi accueillir, on ne peut pas proposer la PrEP sans donner un accès aux droits”. Moi, j’avais bien kiffé cette phrase.

Séverine Carillon : Je ne dirai pas beaucoup mieux. Il faut avoir en tête que l’offre de PrEP doit être associée à une offre de service globale. J’ai envie de dire que la PrEP ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. C’est un médicament certes mais ça ne doit pas cacher toutes les questions santé sexuelle d’une part, qui ne sont pas que le VIH, les questions de contraception, etc. Et puis ça ne doit surtout pas cacher l’enjeu qui est derrière aussi, les difficultés des conditions de vie, ça ne doit pas masquer toutes ces inégalités sociales, économiques et de genres.

Mohamed : Oui, mais est-ce que ça ne les empêche pas de revenir se faire dépister ?

Séverine Carillon : Le gros avantage de la PrEP, c’est qu’à partir du moment où vous êtes sous PrEP, vous êtes dépisté au moins tous les 3 mois. C’est aussi pour ça qu’on a une augmentation des IST, c’est parce qu’on est beaucoup mieux dépisté.

Mohamed : Et sur les effets secondaires ?

Séverine Carillon : Non, pas d’effets secondaires en particulier, très peu.

Sandra : On va devoir passer à la rubrique culturelle.

Transcription : Sandra JEAN-PIERRE

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