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21.06.2018

Bernard, séropositif : «Je suis un chanceux parce que les trithérapies venaient d’arriver »

Sandra : Je vous propose d’écouter le témoignage de Bernard, vos réactions après.

Début de l’enregistrement.

Bernard : C’est vers les années 1993 que j’ai commencé à ressentir… je n’avais pas beaucoup de problème de santé. Peut-être de temps en temps, en Afrique, le paludisme. Par exemple, pendant mes 3 années d’études au Canada, je ne suis jamais allé à l’hôpital. Mais vers les années 1993, j’ai déjà commencé à tomber régulièrement malade et comme c’était en Afrique, je croyais que c’était le paludisme. Une, deux, trois hospitalisations en moins de 3 mois. Les médecins m’ont fait un prélèvement pour le VIH mais sans m’informer. A la sortie de l’hôpital, on m’avait mis des perfusions pour me remonter, je me sentais bien. Le directeur de la clinique est venu me demander d’aller faire un examen de confirmation du VIH. C’était marqué, pas sida, mais il y avait des initiales, WB. Ca voulait dire Western Blot. Je me suis renseigné auprès de ma petite soeur qui était du corps médical. Elle m’a dit que ça voulait dire VIH. Donc j’ai eu peur, je ne suis pas allé faire cet examen. J’ai attendu jusqu’à 2 mois avant de le faire. Bon, là c’était dans une clinique où je suis hospitalisée mais c’est à l’hôpital central de Douala au Cameroun que je suis allé faire ce test. J’ai attendu les résultats à la maison 2 mois, je n’ai pas eu les résultats. Je suis reparti là où j’avais fait le test. On m’a dit d’aller voir le médecin. J’ai fait encore 2 mois avant de voir le médecin. Mais comme je me sentais bien, je ne suis pas venu lui dire. On m’a demandé de passer, de demander les résultats. Je suis resté avec lui, j’attendais qu’il parle du VIH. Il ne m’en parlait pas. Nous sommes restés peut-être 30 minutes. On causait du football, des choses comme ça, j’attendais qu’il me parle. Il avait oublié. J’avais peur de prononcer ce mot. Ca, c’était en 1993. Après ça, nous nous sommes séparés. J’ai continué ma vie. De temps en temps, peut-être chaque 3 mois, un peu de sueurs nocturnes. De temps en temps des fièvres, des problèmes de peau. Jusqu’en 1997, fin 1997, où là, je suis tombée gravement malade. J’avais des difficultés à respirer. Je crois que c’était la pneumocystose. Je suis parti dans le même hôpital et là, c’était vraiment couché à l’hôpital, qu’on m’a annoncé que j’avais le sida. Comme je me sentais très mal, mon problème c’était d’abord de réussir à respirer normalement et la personne qui m’avait annoncé le VIH, comme lui-même était laborantin, il m’avait dit, il n’y a pas de problème. Il y a des nouveaux traitements si tu me donnes environ 800 euros chaque mois, il n’y aura pas de problème parce que je vais t’amener des traitements qui viennent des Etats-Unis. Il mettait ça dans les petits bocaux comme ça. Plus tard, j’ai su que ce n’était pas de la trithérapie mais des multivitamines. Il me disait que ma situation était toujours très bonne. Mais je dépérissais jusqu’au jour où je me suis retrouvé dans son bureau, il a dit qu’il ne voulait plus me voir. Je venais d’avoir ma dernière fille et il m’a dit : “Dis à ton épouse que tu as le VIH et viens avec elle, la faire dépister”. Ce que j’ai fait. Elle était séronégative. Donc j’ai remercié Dieu pour ça. J’ai même fait le test des enfants parce que je croyais que les enfants pouvaient être contaminés. J ‘avais déjà 5 enfants à l’époque. Mais avec mon épouse, j’avais eu 3 enfants avant. Quelques temps après, elle m’a laissé tomber.

Quand mon médecin m’a laissé tombé, j’ai vu un autre médecin de la clinique, parce qu’on m’avait demandé de rentrer. C’est en décembre 1998. J’avais déjà perdu plus de 20 kilos et la bouche était toute pâteuse. J’avais des aphtes, je ne réussissais plus à manger. Ils m’ont demandé de rentrer chez moi. Moi, je sentais que je n’avais plus que 6 mois à vivre. Quand je ressortais pour partir, il y avait un autre médecin qui était de garde et qui m’a demandé. Je lui ai dit : “Mais regarde dans quel état je suis et tes collègues me demandent de rentrer chez moi”. Il m’a dit : “Est-ce que tu as quoi de commencer une trithérapie ?”. On est allé ensemble dans une centrale d’achat, parce qu’en Afrique c’était ça à l’époque, et j’ai donc commencé ma trithérapie à 800 euros. En moins d’un mois, j’avais repris 5 kilos. Je voyais les aphtes qui repartaient.

Je suis un chanceux parce que les trithérapies venaient d’arriver, donc en 1996. En Afrique, nous étions la première génération, on ne mettait plus les taxes, donc j’ai pu l’avoir à 800 euros. Et c’est ça qui m’a permis d’être en vie. Mais après ça, il y a eu des problèmes, des résistances au traitement et donc en 2003 mon médecin qui m’a demandé de venir ici pour faire des examens, je suis venu avec un petit sac. Je savais que je faisais des examens et je repartais avec un petit sac. Mais, échec, il fallait que je commence un nouveau traitement. Il fallait 3 médicaments. A ce moment-là, il n’y avait que 2 qui marchaient sur moi. En 2003, le Fuzéon est venu. C’était un nouveau traitement inhibiteur d’entrée avec des injections. Quand je suis arrivé en janvier, c’est en juin que j’ai pu entrer sur ce traitement. 3 médicaments qui marchaient. Je suis arrivé en France, j’avais déjà 10 CD4. Mon immunité était très faible. Donc, j’ai pu prendre ce traitement. Je remercie Dieu de m’avoir permis d’être là. Quand j’étais en phase terminale, ma fille avait 1 an et je ne voulais pas mourir en laissant ma fille de 1 an. Aujourd’hui, elle a 21 ans. Elle est plus grande que moi en taille et vraiment, je suis fier d’être là encore. Même si je pars maintenant, mes enfants m’ont connu et j’espère que mon témoignage va vous apporter un plus. Merci.

Applaudissements.

Fin de l’enregistrement.

Sandra : Bernard au micro de l’émission Vivre avec le VIH. Vos réactions ! J’ai hâte d’entendre celle de Steffie ! Oui, la parole à la jeunesse. Est-ce que ça t’a fait penser à quelques histoires que tu as peut-être entendues quand tu étais au Togo ou au Burkina Faso ?

Steffie : Oui, ça explique vraiment ce qui se passe en Afrique et ce qui se passait en Afrique. Maintenant, il y a plusieurs pays qui ont des ARV et qui les donnent gratuitement mais le problème c’est la rupture de stock et les résistances surtout. Il n’y a pas toutes les molécules qui sont disponibles en Afrique. Sinon, c’était un très beau témoignage, poignant et qui montre vraiment que l’espoir est toujours là. Il a pu se soigner en venant ici en France. Malheureusement, en Afrique encore, on a des lacunes.

Sandra : C’est à cause de la politique, principalement, c’est ça ? Ce n’est pas une question d’argent ?

Steffie : Politique, laboratoire, et voilà.

Christian : Oui, oui, de très grosses lacunes, la corruption aussi. On ne veut pas donner les vrais médicaments aux malades. On part donner aux ministres, directeurs et compagnies, eux qui ne vont pas à visage découvert dans les hôpitaux. Ils sont couchés chez eux, dans leur bureau, dans leur fauteuil et on vient leur remettre les médicaments. Les autres, on leur donne des génériques. J’ai quand même eu l’hardiesse d’avoir eu un très bon suivi. Le suivi là-bas, c’est tout sauf quelque chose de sérieux. J’espère qu’un jour, dans 50 ans peut-être ça changera. Ce monsieur, il a combattu, heureusement qu’il est arrivé ici. Je crois que ça ira maintenant très bien pour lui. Sa fille a 21 ans et son souhait, c’est qu’un jour son histoire soit écoutée par ses enfants ou d’autres personnes pour donner espoir.

Steffie : Je tenais quand même à souligner l’effort considérable qui est fait par les associations de santé communautaire en Afrique qui travaillent beaucoup sur le terrain, les organisations de la société civile et surtout aussi les personnes qui sont atteintes et qui elles-même s’organisent pour que tous ces problèmes soient résolus.

Sandra : Je précise que les médicaments génériques ne sont pas des mauvais médicaments. Ce sont des bons médicaments. Le problème, ce sont les ruptures de médicaments. En France, on a des médicaments génériques et pour le VIH, il y en qui sont déjà en générique. C’est le processus.

Yann : Il y a aussi le problème pour les personnes qui sont retirées dans les campagnes, il faut aller dans l’hôpital communal de Yaoundé, je parle pour le Cameroun, et ça parfois, c’est difficile. Il faut savoir qu’il faut payer ses résultats et ses analyses. Il y a des familles qui ne peuvent pas. Il faut savoir que la plupart du temps, automatiquement les personnes diminuent le traitement pour le faire durer plus longtemps. Donc voilà, tout ça n’est pas résolu. Il y a encore beaucoup d’efforts à faire.

Christian : Effectivement, tout est concentré à Yaoundé. Le temps d’arriver, par les routes, le transport est difficile, les embouteillages, on arrive en retard au rendez-vous. On donne une petite boite de comprimés. C’est dur, parler de ça, c’est vraiment très dur. C’est avec beaucoup d’émotions que je reviens souvent dessus. Mais peut-être qu’un jour, ça changera.

Sandra : N’hésitez pas vous aussi qui êtes dans ces pays à témoigner, à laisser vos messages sur le site comitedesfamilles.net et puis nous, on va relayer.

Transcription : Sandra JEAN-PIERRE

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