Ghislaine Firtion : Bonjour, je suis Ghislaine Firtion, je suis pédiatre à Port-Royal, et je travaille entre autres depuis 1986 avec les enfants nés de mères séropositives.
Sandra : Jeudi 10 juillet, les chercheurs qui avaient annoncé la guérison fonctionnelle d’un bébé né porteur du VIH, ont annoncé que malheureusement, cette petite fille âgée de 4 ans aujourd’hui est infectée par le VIH malgré un traitement intense aux antirétroviraux. Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine pour la découverte et l’identification du VIH avait dit ceci :« Nous avons à présent des preuves suggérant que traiter l’infection par le VIH serait possible. Nous devons stimuler le financement de recherches pour les traitements.». Et là finalement, c’est une déception. Alors premièrement, pouvez-vous à nouveau expliquer la différence entre guérison du VIH et guérison fonctionnelle du VIH ?
Ghislaine Firtion : Un peu compliqué tout ça. En tout cas, une vraie guérison, ça voudrait dire dans une maladie infectieuse, que le virus est éradiqué, c’est-à-dire qu’il n’existe plus dans le corps de la personne. Ce qui n’est effectivement pas le cas. Fonctionnelle ça veut dire qu’effectivement on ne retrouvait plus ce virus avec les techniques utilisées à ce moment-là et que sur le plan immunitaire l’enfant allait parfaitement bien avec une immunité excellente. Donc la charge virale ARN y compris aussi la recherche du virus par ADN pro viral était négative à l’époque au bout d’un et demi de traitement.
Sandra : Est-ce que les chercheurs selon vous ont communiqué trop tôt les résultats à la presse ? Je pense aux personnes infectées par le VIH qui ont vu un espoir dans cette guérison même si elle était « juste » fonctionnelle.
Ghislaine Firtion : Je pense que les médecins, les chercheurs sont comme les patients et ont envie d’arriver à des guérisons. Les médecins ont espéré, ont communiqué tout de suite qu’il y avait peut-être un espoir. Je pense que c’était quand même en pointillé et plutôt un espoir qui fallait suivre cet enfant pour voir ce qu’il devenait dans l’avenir. Et, effectivement, ce virus était malgré tout caché, bien caché dans un réservoir et avec le temps il est de nouveau réapparu au niveau sanguin avec des charges virales d’ailleurs très basses.
Je pense qu’il y a deux choses qui sont distinctes, qui sont le traitement de prévention puisque le VIH en fait au cours de la grossesse passe à peu près dans un tiers des cas des enfants séropositifs, ce virus est passé en cours de grossesse sur le dernier trimestre de la grossesse et dans les deux tiers autres d’enfants contaminés c’est passé au moment de la naissance même ou par un allaitement. Et donc quand le virus passe au moment de la naissance, on veut l’éviter. C’est pour ça qu’on donne un traitement à l’enfant qui est un traitement préventif, qui est la même chose quand du personnel s’est piqué avec une seringue pleine de sang d’un patient qui est infecté par le VIH et qui a une charge virale positive. À ce moment-là, on va aussi donner à ce personnel un traitement préventif. Donc chez le nouveau-né de mère VIH, on donne un traitement préventif pour essayer d’éviter qu’il soit contaminé, que si jamais le virus est passé au moment de la naissance, on arrête immédiatement sa réplication. Donc ça, c’est le sens de la prévention. En revanche certains enfants naissent avec le virus déjà. Ce qui a été le cas de cette petite fille. Puisque dès la naissance, on a retrouvé le virus. Elle a été traitée au bout de, si je ne me trompe, de 36 heures de vie. C’est-à-dire un jour et demi de vie. Donc très tôt après sa naissance. Mais ce virus était déjà là sans doute avant sa naissance.
Sandra : Parce que la maman n’était pas traitée en fait ?
Ghislaine Firtion : Pour diverses raisons en tout cas, sans doute une charge virale qui était positive chez la mère et en tout cas une charge positive, on sait qu’il n’y a quasiment pas d’enfants contaminés quand la mère est indétectable depuis, par exemple elle commence sa grossesse sous traitement, et elle est déjà indétectable. Là en fait, on n’a pas d’enfant contaminé. Mais c’est vrai que des découvertes en cours de grossesse, des prises en charges en cours de grossesse, par exemple au dernier trimestre de la grossesse, ça peut être un peu tardif et on peut avoir dans ces cas-là quelques contaminations d’enfant. Donc cette petite fille elle était contaminée à la naissance, c’est prouvé par la charge virale qui était très basse, si je me souviens bien, autour de 80 copies et avec un ADN pro viral qui est une technique plus sensible, qui était positif. Et c’est vrai que cet enfant a été perdu de vue ensuite et a été retrouvé vers 2 ans avec un traitement arrêté depuis au moins 6 mois et qu’à cette époque on a trouvé que la charge virale par PCR ARN était négative ainsi que l’ADN. Ce qui peut se voir de temps en temps. Et finalement on a espéré que cet enfant était guéri puisqu’on ne retrouvait pas de trace de ce virus et on voit que deux ans plus tard, puisque cette petite fille a maintenant 4 ans, on retrouve de nouveau ce virus qui est réapparu avec une charge virale faible. Donc c’est plutôt un bon cas pour un enfant contaminé. C’est une petite fille qui doit avoir des défenses immunitaires probablement très importantes, sans doute son système génétique héréditaire, enfin tout ce qu’on veut, est favorable à cadrer en tout cas ce virus, a empêché qu’il se réplique beaucoup.
Sandra : D’ailleurs les chercheurs ont dit que : « Le cas de cet enfant du Mississippi montre que le traitement précoce aux antirétroviraux n’a pas complètement éradiqué le réservoir de cellules touchées par le VIH. Mais il pourrait avoir considérablement limité son développement et permis d’éviter qu’elle prenne des antirétroviraux pendant une longue période. » Mais du coup je me dis, si cette petite fille avait continué de prendre les traitements, est-ce que cela n’aurait pas été davantage bénéfique pour elle ? Est-ce que le virus n’aurait pas pu finalement vraiment disparaître ? Les traitements VIH n’ont-ils pas été arrêtés trop tôt chez cette petite fille ? Ce sont des suppositions mais…
Ghislaine Firtion : Je pense qu’on n’a pas de réponse. En tout cas toutes les recommandations actuelles sont de continuer les traitements et de ne pas arrêter. Parce que justement en fait, il semble bien que quand on arrête au bout d’un certain temps, le virus se redéveloppe. Alors on a quelques cas aussi chez les adultes, un peu de la même manière. Mais c’est vrai que tous au bout d’un certain temps, ce virus réapparait. On a toujours espéré qu’avec le temps, en traitant longtemps, de plus en plus longtemps, le virus disparaîtrait complètement. En fait c’est sûrement beaucoup plus compliqué que ça. Il y a des recherches actuelles qui sont une espèce de réactivation, faire sortir le virus des réservoirs pour essayer de le détruire par les traitements. Donc il y a des recherches au moins chez l’adulte en tout cas dans ce sens.
Je pense qu’il y a un énorme message d’espoir pour tous les enfants nés de mères séropositives qui est que quand même, quand elles sont bien traitées, depuis un certain temps, il n’y a pas d’enfant contaminé. Et ça, c’est une sacrée victoire. Donc il faut se faire dépister, c’est très important pour être pris en charge le plus tôt possible.
Ghislaine Firtion : Là, ce n’est pas de la prévention classique. La prévention classique de la transmission du virus VIH de la mère à l’enfant c’est plutôt une monothérapie par du Rétrovir. Effectivement, quand les mamans n’ont pas eu de suivi et qu’on les découvre à l’accouchement ou juste après, à ce moment-là c’est une indication de trithérapie, si jamais le virus est passé au dernier moment, essayer qu’il ne se diffuse pas dans l’organisme du bébé. Mais là, dans le cas présent ce n’est quand même pas ça. Effectivement c’est une maman qui n’était pas suivie mais le diagnostic a été fait chez l’enfant d’une contamination, puisqu’il avait une charge virale qui était autour de 20 000 copies. Donc c’est effectivement un enfant contaminé et contaminé en anténatal. Donc avant la naissance. Donc à cet enfant, il a été donné une prévention effectivement de trithérapie. Alors, je n’ai pas très bien compris, je n’ai pas toutes les précisions mais il y aurait eu d’abord du Rétrovir, de l’Epivir et de la Viramune. Ensuite, quand ils ont su que cet enfant était contaminé, ils sont passés à l’Epivir, la Viramune et ils ont rajouté du Kaletra. Donc ça, c’est quand même moins classique comme trithérapie. Ils ont continué ce traitement, le traitement d’un enfant infecté qui était effectivement à ce moment-là une trithérapie. Et très rapidement, ils ont eu une charge virale indétectable. Donc à 1 mois, c’est indétectable, en-dessous de 50 copies. Donc une excellente réponse au traitement. Donc à la fois ça se confond effectivement avec la prévention de la transmission mais c’est aussi le traitement d’un enfant infecté.
Dans ce cas-là, on peut pas parler comme ça de « mon VIH a disparu ». Chez ce bébé, ça fait 6 mois qu’il est indétectable sans traitement. C’est vraiment très court dans une vie surtout avec des virus qui peuvent être extrêmement lents à répliquer. Les présentateurs n’ont pas parlé de guérison. Ils parlent de guérison fonctionnelle, c’est-à-dire que, à l’heure actuelle, après 6 mois d’arrêt de traitement, c’est les parents qui ont arrêté le traitement vers l’âge de 18 mois, la charge virale est indétectable, avec des techniques connues qui sont je crois à 20 copies. Donc c’est des choses qu’on voit de manière tout à fait exceptionnelle. C’est quand même très rare, on ne peut pas parler de guérison. Là ils ne disent pas qu’il n’y a plus de trace de VIH. Ils disent que la sérologie est négative, ça c’est, j’aimerai la voir quand même, je n’en sais rien. Ils ne disent pas qu’on ne trouve pas du tout de virus. Donc je n’ai quand même pas tous les détails. C’est difficile d’interpréter. Pour moi, il peut s’agir d’un enfant en fait qui est contrôleur c’est-à-dire que tout seul, il va contrôler son virus et l’empêcher de se multiplier. Ca ne veut pas dire guérison. D’abord on n’a pas assez de recul. Pour parler de guérison il faut parfois attendre 20 ans. On peut contrôler pendant très longtemps son virus. Moi j’ai un jeune adulte contaminé à la naissance qui est quasiment indétectable à 23 ans. Il n’a pas de traitement. Donc c’est des choses qu’on peut trouver de manière tout à fait exceptionnelle. Donc je pense que ça rentre plus dans ce cadre-là. Je pense qu’il faut attendre, on ne peut pas parler d’un enfant guéri. En tout cas, pas moi.
Moi, il y en a que j’ai traité à 2 heures de vie. On avait le diagnostique tout de suite. En général ces enfants-là étaient plutôt malades et quand on arrête les traitements en général le virus réapparait même s’ils sont très bien contrôlés. Mais quand même, je pense à deux enfants qui ont été extrêmement malades dans la petite enfance avec un sida neurologique, donc quelque chose de très grave, qui ont failli mourir, qui ont finalement survécu et qui vers, en gros à l’adolescence, ont tout seul arrêté leur traitement. Et curieusement, pendant plusieurs années, ils ont eu des charges virales indétectables. Alors ça se rapproche un petit peu de ce qu’on connait aussi chez l’adulte où il y a je crois une cohorte de patients qui viennent de faire une seroconversion VIH, ça s’appelle je crois la cohorte Visconti où il y a un suivi comme ça de ces patients et ils ont retrouvé quelques cas comme ça où les patients sont indétectables pendant un certain temps.
Sandra : Qu’est-ce qui explique que pour ce bébé la trithérapie ait marché sur lui ?
Ghislaine Firtion : On ne sait pas toujours pourquoi. Spontanément, il y a des gens qui sont séropositifs et indétectables quand on cherche, quand on veut compter les virus. Spontanément ça existe. Donc ça on connait, il y a des multiples raisons, ça peut être le virus lui-même qui se réplique extrêmement peu, ça peut être aussi la personne elle-même qui a dans ses gènes, dans ses capacités de lutter contre ce virus, de le maîtriser. Il y a sûrement des raisons mais on ne sait pas tout.
Ce qu’on peut dire et ce qu’on sait en revanche c’est que quand on traite tôt, que ce soit un enfant, un nouveau-né, que ce soit un adulte qui vient de séroconvertir, si on le traite tôt, on sait que son avenir est meilleur. Par exemple, pour les bébés, c’est une recommandation d’ailleurs en France et aux Etats-Unis de traiter les enfants le plus tôt possible, même dans le monde, par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), on sait que ces enfants, alors qu’avant ils pouvaient mourir dans les deux ou trois premières années de leur vie, quand on les traite tôt, on n’a jamais tous ces problèmes d’atteintes neurologiques, des choses extrêmement graves avec des enfants parfois qui meurent extrêmement tôt. Je viens de voir une maman, son précédent bébé, est mort à 4 mois et demi, on l’a découverte à l’occasion de la maladie de son enfant. Donc en traitant très tôt, on peut le faire, au moins on préviens toutes les formes graves. Après, les individus ne sont pas tous pareils, les virus ne sont pas tous pareils, et voilà. On n’est pas tous égaux devant la maladie comme on dit. C’est le côté encourageant de traiter tôt. Ça justifie une fois de plus que de se traiter tôt, c’est bénéfique. Il ne faut pas parler de guérison je pense.
Sandra : Et pour Timothy Ray Brown, ce patient guéri du VIH, qu’en pensez-vous ?
Ghislaine Firtion : Le patient allemand, lui il a été traité pour supprimer, enfin, le mettre en aplasi médullaire, donc détruire toutes ses cellules sanguines. Donc ça n’a rien à voir. Ce n’est pas du tout la même chose. Ce n’est pas son VIH qu’on a traité. C’était sa maladie, je crois que c’était un lymphome, une leucémie, je ne sais plus exactement, une maladie du sang.
Sandra : Tout à fait, une leucémie.
Ghislaine Firtion : Donc là, ça n’a rien à voir. C’est en fait en détruisant toutes les cellules du sang, du coup il n’y en avait plus dans le réservoir. Il n’y avait plus de virus dans le réservoir. Je pense que c’est ça l’explication simple. Mettre les gens en aplasi médullaire pour du VIH ça ne vaut pas le coup. C’est vraiment… on peut mourir d’une aplasi. C’est un traitement très toxique, très dangereux en fait. Donc on l’utilise que dans des maladies particulières. Dans le VIH, ça n’a pas de sens.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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