Sandra : De retour à l’émission Vivre avec le VIH. Vous êtes avec Mohamed, Christian, Jean-Sébastien Daniel et moi-même. Maintenant nous allons parler du samu social, le 115. Qu’est-ce que le samu social ? On va découvrir ça ensemble. Je sais qu’il y a beaucoup d’auditeurs et d’auditrices qui savent ce que c’est mais peut-être qu’il y en a qui n’en ont jamais entendu parler. J’ai pris quelques notes mais puisque vous êtes là Jean-Sébastien Daniel, qu’est-ce que le samu social ?
Jean-Sébastien Daniel : C’est à la base une méthode d’aller vers ceux qui ne demandent plus rien. C’était l’idée du docteur Xavier Emmanuelli dans les années 80, au début des années 90. Donc c’était des équipes pluridisciplinaires, avec une approche psychomédico-social, donc d’aller vers les personnes sans-abri. A l’époque, c’était beaucoup de personnes en situation, ce qu’on appelle, de grandes exclusions, qu’on appelait plus communément les clochards. Les personnes qui allaient au CHAPSA à Nanterre, qui restaient souvent à la rue ou qui vivaient dans des conditions sanitaires et sociales assez déplorables. Donc au départ, c’est une méthode en fait. Et en 1993, a été fondé le groupement d’intérêt public samu social de Paris pour créer des maraudes, donc pluridisciplinaire et véhiculer dans les rues de Paris, avec le soutien de la mairie de Paris de l’époque évidemment pour aller vers ces personnes-là. Ensuite, ont été créés différentes autres services dont le 115 qui ne s’appelait pas le 115 à l’époque mais qui était le numéro vert pour les sans abris, je ne sais plus ce que c’était, j’étais un peu jeune à l’époque mais qui est devenu ensuite le 115 à la fin des années 90 je crois. Et donc il y a un numéro d’urgence gratuit et en tout cas pour Paris et joignable H 24, tous les jours de l’année et 24h/24 pour toutes personnes en situation de détresse sociale médicale et/ou psychique, pour reprendre les termes du code d’action social et de la famille. Donc pour demander notamment un hébergement d’urgence. Donc on a également des centres d’hébergement au samu social de Paris mais on régule vers d’autres centres qui sont gérés par d’autres associations. Et ensuite d’autres services qui sont adjoints à ça, les haltes de soins santé qui sont des sortes de lieu d’accueil, pas médicalisés mais avec des soins infirmiers pour les personnes qui le nécessitent, soit en sortie de rue, soit en sortant de l’hospitalisation et qui n’ont pas par exemple de couverture sociale. Donc pour lesquels les soins sont pris en charge, etc. Le samu social de Paris au départ c’était quelques équipes, c’était l’hospice St Michel qui est avenue courteline qui est toujours le siège historique du samu social de Paris. On a déménagé depuis. Ca grossit, grossit, aujourd’hui, on est plus de 600 salariés juste pour le samu social de Paris.
Ensuite, la méthode samu social s’est exportée pour parler un peu de ce qu’avait créé le docteur Xavier Emmanuelli. Ensuite, il y a eu des maraudes qui ont été créées du même ordre dans d’autres départements, dans quasiment tous les départements. Il y a un 115 dans tous les départements de France. Et la méthode samu social existe aussi dans d’autres pays du monde, il y en a à Alger, Bucarest, Pointe-Noire je crois, etc. Donc après il y a une fédération des samu sociaux. Après selon le pays ou la ville où ça existe, quand c’est à l’étranger, c’est adapté à la problématique qui peut être rencontrée sur place. Je crois qu’en Afrique il y a certaines ville où c’est les enfants des rues, à Lima au Pérou c’est pour les femmes victimes de violence. Pour recentrer un petit peu plus sur ce que nous on fait au samu social de Paris et avec les missions en fait. Il y a une délégation du service public, donc pour l’accès à l’hébergement d’urgence. Donc on est porteur du SIAO d’urgence de Paris. SIAO ça veut dire service intégré d’accueil et d’orientation. C’est donc un acronyme un peu incompréhensible mais qui a été créé au départ par des circulaires en 2010 et qui est depuis la loi en 2014 inscrite dans le code d’actions sociales et de la famille. Et qui est un service départementalisé comme le 115 qui est dans chaque département mais qui est une sorte de guichet unique pour tout ce qui est accès à l’hébergement et au logement. Donc aujourd’hui le 115 de Paris est intégré au SIAO urgence de Paris dont je suis responsable et donc qui centralise toutes les demandes d’hébergement.
Donc pour nous, sur Paris en fait, il y a deux volets : urgence et insertion. Nous, on est vraiment sur l’hébergement d’urgence la réponse immédiate sur soit de l’accès à la nuité, soit sur du court séjour. Le SIAO insertion s’occupe plutôt des demandes de logement, de l’accès en CHRS, etc. On va dire du plus long terme et de l’accès à l’insertion professionnelle notamment. Je sais, c’est très technique…
Sandra : Non mais faut poser les bases puis après on aura des discussions. Si là, nous enregistrons l’émission à Paris, l’émission est quand même rediffusée sur d’autres radios locales en province donc. On peut parler de ce qui se passe en province, ailleurs. Il n’y a pas de souci.
Mohamed : L’idée est très belle, elle est louable mais c’est un peu comme si on revenait sur le DAL où ils faisaient des propositions de logement et puis les gens sont toujours sans aucune solution. Moi, je connais bien ce truc du 115 pour en être passé par là, et des maraudes, mais justement Xavier Emmanuelli un certain temps se plaignait de ne pas avoir assez de moyen pour pouvoir mettre plus de maraudes en route et ils voulaient les arrêter. Je pense que ces idées là dont tu parles, parce que même dans tiers-monde elles se font, mais c’est des gens qui sont dévoués pour donner des soupes et faire quelque chose mais la majorité sont bénévoles. Ils ont juste des gilets où ils sont reconnaissables mais sinon c’est des bénévoles et chacun vient donner un coup de main. Il n’y a pas de hiérarchie précise là-dessus. Et concernant les nuitées, c’est la nuitée d’urgence. C’est pour une nuit et après on ne sait pas ce qu’on peut faire de toi mis à part t’orienter vers des soins. Mais les cars qu’il y avait où les gens allaient dormir, il y avait des cars bleus qui prenaient tout le monde, les ASAP…
Jean-Sébastien Daniel : Ca existe toujours.
Mohamed : Oui mais ils sont très peu et les centres se sont amoindris. Avec l’afflux des réfugiés, des étrangers. Hidalgo dit qu’on ne peut pas faire de foyer devant le 16e arrondissement ou au Bois de boulogne parce que ça gêne les gens riches, on est un peu emmerdé avec ça. On va les mettre où tous ceux-là ? Faut essayer de les répartir assez équitablement et ne pas donner que les pauvres chez les pauvres.
Jean-Sébastien Daniel : Je suis assez d’accord sur la répartition. Elle est totalement inégale entre l’est et le nord-est de Paris et l’ouest. En effet, j’entends ce que tu dis sur le fait qu’on ne soit pas bénévole. En effet, on est quasiment tous professionnels au samu social de Paris. Ca vient du fait qu’on est un groupement d’intérêt public et pas une association. Donc c’est-à-dire que l’énorme majorité de notre budget est de l’argent public. On a des tutelles qui sont donc l’Etat par la préfecture de région, la DRIL, direction régionale interdépartementale de l’hébergement du logement. La mairie de Paris, l’APHP, la ratp, la SNCF, etc. Il y a des différents acteurs. Après, il y a des acteurs privés aussi mais qui sont plus via le mécénat, notamment PSA qui nous fournit les véhicules pour les maraudes. Après pour l’hébergement à la nuité, historiquement, c’est à peu près quasi exclusivement ceux à quoi on avait accès sur le 115. Mais avec les différentes lois qui sont passées quand même depuis le début des années 2000, ce n’est pas forcément légal de remettre, ce n’est même pas légal de remettre les gens à la rue le matin. On le fait quand même parce qu’en fait le problème, la majorité des centres d’hébergement héberge en continuité, sans durée limite de séjour ou sinon sur une durée plus longue. Mais le problème c’est qu’une fois qu’une personne rentre sur une place, elle met des mois voir des années à sortir de cette place pour accéder à un hébergement d’insertion ou un logement. Et donc après ça s’embouteille à l’entrée et donc il n’y a plus de place pour les personnes qui appellent. C’est notre grosse difficulté en fait, c’est le ratio entre l’offre qui pourtant a augmenté ces dernières années et la demande qui reste toujours très forte. Notamment, il y a eu une évolution du public ces 10 dernières années. Auparavant le portrait robot de l’appelant du 115 c’était un homme d’une quarantaine d’années qui était à la rue depuis assez longtemps et qui cherchait juste un endroit où être un peu au chaud le soir et manger une soupe et puis après il partait le matin parce qu’il avait envie de rendre compte à personne. Sauf qu’on a eu une explosion des demandes des familles. Donc pour nous une famille c’est une femme enceinte de plus de 3 mois ou dès que dans un ménage il y a un enfant mineur qui est à la charge de ses parents ou de ses tuteurs légaux. Donc aujourd’hui ça représente une masse vraiment considérable. Chaque soir on héberge 14 000 personnes en famille au titre du 115 de Paris.
Mohamed : Ils sont prioritaires.
Jean-Sébastien Daniel : En fait, le mode de prise en charge est différent. Pour les familles on aura davantage recours à l’hôtel. On a un service au samu social à Paris qui travaille avec plus de 500 hôtels dans toute la région. Donc les familles peuvent se retrouver au fin fond du 77…
Mohamed : Une personne seule a plus de difficultés que…
Jean-Sébastien Daniel : Les personnes seules c’est que du centre d’hébergement. On a un périmètre sur le SIAO de Paris d’environ 3900 places mais en incluant les places d’hébergement pour familles aussi. Parce qu’il y a des centres d’hébergement famille aussi. Mais c’est assez loin d’être suffisant. Au SIAO d’urgence, juste celui sur Paris, les travailleurs sociaux, ça peut être des bénévoles aussi, contactent le service et font des demandes pour des personnes qu’ils accompagnent ou rencontrent dans leur accueil ou maraude. Et donc l’année dernière on a eu des demandes pour plus de 7000 personnes différentes.
Mohamed : Oui mais c’est plus pour 2 – 3 nuités.
Jean-Sébastien Daniel : Ah non là, justement là c’est pour des longs séjours. Ce n’est que des personnes isolées donc hors famille. Et le nombre de personnes hébergées ne dépassent pas les 1000.
Sandra : Je vais reprendre la main. Quand on appelle le 115, en pratique, voici ce qui peut arriver :
115 bonsoir ? Rappelez dans 10 minutes. Oui, il faut rappeler à 18h
Bonjour, contenu du nombre d’appels importants, toutes nos lignes sont momentanément occupées. Pour ne pas prolonger votre attente, nous vous remercions de bien vouloir renouveler votre appel.
Ils m’ont dit ouvertement, madame, ce n’est pas tout le temps qu’on va vous avoir un endroit où dormir. Il y a beaucoup de personnes. Qu’est-ce que je vais faire ? J’ai fondu en larmes et puis je suis retournée dormir en gare comme d’habitude.
J’ai déjà téléphoné 115. Toujours occupé.
Sandra : Le but de cette émission n’est pas de critiquer les services du 115 mais vraiment de comprendre comment vous travaillez. On a déjà discuté un peu et on voit que ce n’est pas facile. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien ? Déjà, j’avais envie de dire bravo quand même pour tout le travail accompli. Ma première question c’est, pourquoi pour espérer avoir un hébergement d’urgence il faut appeler à 18h et pas avant, même pas une minute avant.
Jean-Sébastien Daniel : C’est un système de distribution des places qui conditionnent un peu et a malheureusement trop conditionné la réponse qui peut être faite au téléphone et qui ne correspond plus vraiment à une réalité aujourd’hui en terme de place. Si vous voulez, sur le 115, aujourd’hui pour une personne isolée, une personne seule, un homme ou une femme, les hommes appellent très tôt parce qu’il y a beaucoup de places sur un centre qui s’appelle La boulangerie, qui se trouve dans le 18ème arrondissement et qui est un énorme dortoir, donc avec des conditions assez difficiles. Il y a désormais de l’hébergement en long séjour sur ce centre mais on ne les gère pas directement. C’est nous qui faisons les inscriptions, nous proposons les profils et après il y a une commission. Donc ce n’est plus seulement de la nuitée. Donc ça, ça représente sur le 115, 250 places par jour. Mais on va dire 150 places qui sont distribuées chaque jour comme ça. Et le reste, ce n’est pas grand-chose en fait. Après, on aura des places dans un centre d’hébergement, du samu social qui se trouve à Montrouge mais on va orienter plutôt des personnes en situation de grandes difficultés ou avec des problèmes de santé ou plus âgés ou qui nous paraisse vraiment vulnérables. Tout le monde est vulnérable mais on est obligé de prioriser en fait par rapport aux différents profils qu’on rencontre, en fonction de l’âge, de l’état de santé, du nombre de jours, de semaines, d’années dans la rue et de l’état de vulnérabilité que la personne manifeste au moment de l’appel. Donc c’est assez difficile à évaluer notamment pour les écoutants qui ont les personnes au téléphone. Le manque de places fait qu’on est obligé de prioriser.
Ensuite pour les femmes, on a très peu de places. On a quasiment plus de places à la nuité pour les mettre à l’abri. Il y a ce centre du samu social à Montrouge qui s’appelle Romain Rolland où on a quelques places mais c’est moins de 10. Ca c’est certain. Et quelques places de mise à l’abri à l’hôtel. Mais pareil, pour quelques nuits, pas plus. Donc c’est vraiment cette limite-là. Donc parfois les écoutants et écoutantes demandent aux personnes de rappeler le soir dans l’espoir d’avoir des retours de places en fonction des absences. Il y a des places qui nous reviennent mais c’est plus tard que ça en fait. Et si on demande à tout le monde de rappeler en même temps, c’est ce que vous passiez tout à l’heure, toutes nos lignes sont occupées et merci de nous rappeler plus tard. C’est ce qu’on appelle de la dissuasion. Plus aucun appel ne plus rentrer sur nos lignes. Donc on a comme contrainte le nombre de lignes qu’on peut prendre en même temps, donc c’est une trentaine sur l’accès au serveur du 115 et ensuite c’est nos effectifs, donc le nombre de personnes en poste qui peuvent répondre au téléphone qui font généralement leur maximum et leur mieux pour répondre le plus possible mais c’est rarement suffisant en fait.
On a eu un été assez difficile en terme de réponse, on était très difficilement joignables certains jours, notamment mi-août. Là, ça va mieux. On avait un sous-effectif et des personnes qui étaient absentes, etc. C’est les ressources humaines, dans tout travail, il y a des gens qui sont malades, absents, malheureusement. Et là actuellement, on répond à peu près à 1200 appels par jour, sur 24h. Mais on en reçoit entre 4000 et 5000.
Sandra : Dernièrement, il y a une de nos membres au Comité des familles qui a dormi dans un hôtel et qui a été piquée par des punaises de lit. C’est un fléau, ça revient, c’est une catastrophe. Que faire si un logement attribué par le 115 ne convient pas ? Entre dormir dans la rue et avec des punaises de lit, la possibilité de choix n’est pas non plus bien grande. Que faire ? Parce que si elle refuse le logement, elle va se retrouver dans la rue.
Jean-Sébastien Daniel : Le problème, on se retrouve entre le marteau et l’enclume. Si je dis non, je n’ai pas de place, c’est parce qu’il n’y a rien d’autre mais en même temps, si je vais dormir là-bas j’aurais des piqûres partout. Moi, j’en n’ai jamais eu mais les piqûres de punaises apparemment c’est assez insupportables. Il y a des personnes qui font des réactions allergiques…
Sandra : Ca dépend des personnes.
Jean-Sébastien Daniel : On voit des photos parfois avec le bras complètement boursouflé. Nous, ce qu’on demande aux personnes, l’essentiel, c’est qu’elle le signale, quand c’est dans un hôtel, qu’elle le signale à la personne qui gère l’hôtel directement, la réception. Où sinon, qu’elle nous le dise quand elle rappelle le 115, qu’elle a eu un problème dans telle chambre, à telle date. Ca, nous ensuite, on passe par notre pôle de réservation pour les hôtels, qui prend contact avec le gestionnaire de l’établissement et qui lui demande de faire quelque chose. C’est en effet, inenvisageable mais malheureusement, c’est un fléau. Les punaises de lit, si vous en avez à un endroit après vous les emmenez avec vous et vous les mettez dans un autre lit. Donc il faut soit changer la literie, soit faire des traitements chimiques qui ne marchent pas forcément et quand vous avez une personne différente, un turn-over aussi important, ça se répand dans beaucoup de centre d’hébergement malheureusement. Mais en tout cas, que les personnes à qui ça arrive, qui sont dans des conditions d’hébergement qui sont soit insalubres, soit qui ne leur conviennent pas, qu’elles nous le signalent. Ce n’est pas parce que c’est un hébergement d’urgence qu’on doit tout accepter.
Christian : Vraiment, je suis très content de rencontrer un des responsables du 115. J’en ai souffert du 115. Ce fut une bonne idée de créer, de mettre sur pied le 115. Franchement, Jean-Sébastien, tu n’es pas dans un tribunal ici tu vas quand même essayer de répondre à quelques-unes de mes questions, tu vas les noter et celles que tu pourras répondre, tu réponds et les autres, bon. Les auditeurs nous écoutent et nous sommes dans émission très sérieuse.
Comment est-ce qu’on recrute des agents qui travaillent au 115 ? Est-ce qu’on procède véritablement à une enquête de moralité ? J’ai fait le 115 à Bordeaux, je vous assure, ces gens… déjà, on vous loge, vous passez une nuit dans une chambre. Qu’il pleuve, qu’il neige, à 6h, on vous met dehors ! Que vous soyez malade, n’importe quoi, ces gens sont sans état d’âme, ils vous balancent dehors. Donc, comment est-ce qu’on recrute les agents qui travaillent au 115 ?
Est-ce qu’il vous arrive avec certains responsables de descendre exactement sur le terrain pour voir comment les uns et les autres vivent ? Est-ce que vous êtes déjà descendus dans certains locaux pour voir comment les gens que vous logez dans ces différents endroits du 115 vivent ?
Qu’est-ce qui fait que lorsque tu appelles le 115, il faut attendre entre 45 minutes et 1h de temps pour être finalement pris en charge par un conseiller qui au final va lui dire que rien n’est possible pour vous, nous ne pouvons rien faire. C’est comme une secte, pourquoi faut-il appeler comme Sandra disait tout à l’heure à 18h ? Si tu n’appelles à 18h, il faut appeler 14h. Ces gens-là jouent avec les indigents que nous sommes.
Pourquoi les logements ne sont pas fixes au 115 ? Je m’explique. Vous êtes logés pour une seule nuit, comme je disais tout à l’heure, vous devez libérer très tôt, et c’est terrible. Les gens sortent à 6h. On m’avait balancé en pleine pluie, à 6h, en pleine neige. Vous ne savez même pas où aller. Vous êtes errant. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai été logé, vous avez cité l’endroit tout à l’heure, La boulangerie. Je vous assure, c’est un endroit lugubre même en Afrique on a jamais vu des endroits comme ça. Est-ce que les autorités de ce pays savent ? Là-bas, ça sent le pipi, le caca. Je suis allé pour me doucher, j’ai chopé une infection. Il n’y avait pas de couverture pour dormir. Ce n’est pas que j’en veux aux véritables clochards, parce qu’on vous met généralement avec des gens qui ont perdu complètement la mémoire, d’autres qui sont extrêmement sales, qui ont décidé peut-être de vivre… on mélange tout le monde et donc vous sortez de là, doublement malade. Je suis sûr que vous, vous n’avez jamais fait le 115 dans votre vie mais pour ceux et celles qui ont déjà vécu les turpitudes du 115, c’est dur, c’est très dur.
Sandra : Merci Christian pour ce témoignage. Il faut en parler, il faut être cash. Jean-Sébastien Daniel, allez-y, j’espère que vous avez bien tout noté.
Jean-Sébastien Daniel : Oui, j’ai noté les différentes questions de Christian. J’entends les difficultés et ce que vous exprimez. On s’en doute, clairement. Pour avoir pris des appels sur le 115 pendant quelques temps quand même, pour avoir été sur le plateau téléphonique, en effet, je n’ai jamais travaillé sur le terrain, je n’ai jamais travaillé dans une maraude, jamais travaillé dans un centre d’hébergement ; mais la détresse des personnes qui nous contactent, on la reçoit en pleine face. Il faut la gérer. Je ne dis pas que ça minimise quoi que ce soit. On la ressent vraiment et on essaye de faire notre maximum pour aider les personnes qui nous contactent avec les moyens qu’on a. C’est ça la difficulté en fait. C’est qu’on ne peut pas à notre niveau créer davantage de moyens et nous-même de centres d’hébergement qui répondent aux attentes et changer en gros les politiques publiques. On fait notre travail d’alerte et d’avertissement auprès des services de l’état, la ville, qu’on a des difficultés, des situations dramatiques que malheureusement on ne peut pas toujours éviter. Je ne sais pas s’il faut l’accepter mais parfois il faut quand même… on est confronté à des situations très dramatiques parfois. Mais bon.
Pour répondre dans l’ordre à vos questions. Sur les équipes de Bordeaux, je ne peux pas vous répondre. Les différents 115, je ne sais pas comment ils recrutent. Je pourrai uniquement parler pour celui de Paris mais une enquête de moralité non. Il faut avoir le bulletin numéro 3 casier judiciaire vierge, parce que c’est assimilé à la fonction publique donc forcément, il y a ça. Et ensuite les écoutants sont recrutés par les coordinateurs et coordinatrices donc leurs encadrants directs, les adjoints aux responsables y participent aussi, les chargés des ressources humaines et ensuite il y a une formation en interne et un accompagnement au quotidien. On a des tuteurs sur notre service et ensuite c’est un accompagnement au quotidien par leur coordinateur et coordinatrice et par leur paire écoutant plus expérimenté. Qu’il y ait parfois des maladresses ou phrases un petit peu mal placées, je l’entends, j’en ai déjà entendu et je peux vous dire que ça m’énerve au plus au point. Qu’une personne qui soit en situation de détresse, qui appelle le 115, s’énerve, ça s’entend. Que les personnes qui lui répondent au téléphone, lui répondent de la même manière, ça, ce n’est pas possible. Après, on n’est pas derrière chaque écoutant à chaque moment pour savoir s’il manifeste suffisamment de respect aux personnes qui les contactent. Mais pour moi, c’est fondamental. Enquête de moralité non mais on essaye de s’assurer que ce sont de bons professionnels, de les former, les accompagner à ce qu’ils fassent au mieux leur travail. Beaucoup de nos écoutants et écoutantes sont jeunes qui ont soit fait des formations dans le social ou en psychologie, ou autre chose mais qui ont une réelle vocation. C’est-à-dire que pour venir travailler là, il faut avoir envie quand même. La paye n’est pas mirobolante, on est écoutant et les conditions de travail c’est prendre des appels toute la journée, c’est dire non à des personnes en détresse quasiment toute la journée. Donc il y a une forme de frustration. Le pouvoir d’agir est très limitée en fait.
Mohamed : Les coordinateurs sont sur les lieux d’hébergement ?
Jean-Sébastien Daniel : Ils sont sur le plateau, avec les écoutants.
Mohamed : Il y en a aucun qui va sur le centre d’hébergement ?
Jean-Sébastien Daniel : Dans notre service non.
Mohamed : Ils servent à quoi ces encadrants ?
Jean-Sébastien Daniel : C’est l’accompagnement de l’ensemble de l’équipe. Ils les évaluent, ils les accompagnent, les forment.
Mohamed : Non mais après, dans un centre comme La boulangerie, on trouve qui là-bas ?
Jean-Sébastien Daniel : Le problème c’est que, sur les centres vers lesquels on oriente, il y a différents gestionnaires. Ce n’est pas forcément le samu social. C’est-à-dire que le samu social de Paris a 3 centres d’hébergement. Tout le reste…
Mohamed : Comment c’est géré ? Si vous restez à écouter et aider de loin, qui est-ce qui s’occupe de ça, de La boulangerie ?
Jean-Sébastien Daniel : C’est Adoma.
Mohamed : Voilà. C’est pas pareil si vous restez sur la plate-forme au 115 et puis les autres agents ils sont là pour dire on a que 20 places, et après 20 places on ferme, vous voyez ce que je veux dire ?
Jean-Sébastien Daniel : Non, non. Nous, notre rôle, c’est de s’assurer de la régulation des places, il y a tant de places, il faut qu’on les attribue et savoir à qui on les attribue en fait. C’est ça le rôle de la coordination, c’est de gérer tout ça, c’est de la régulation de l’hébergement de l’offre et de la demande, au quotidien. Après, sur La boulangerie, j’y suis déjà allé pour voir à quoi ça ressemble et en effet, c’est exactement tel que vous l’avez décrit. Quand j’y suis allé, c’était vide en revanche. Je ne l’ai pas vu occupé mais on peut à peine imaginer en fait. Il y a deux dortoirs. Il y en a un de 100 places et un de 286 places. C’est des lits superposés, ils sont un peu les uns sur les autres. C’est tout en longueur, c’est un ancien entrepôt en fait. Donc forcément, ce n’est pas accueillant du tout, c’est angoissant, on se dit mais c’est horrible. C’est horrible. Les sanitaires ont été refaits, maintenant c’est beaucoup mieux. Avant, c’était vraiment dégueulasse. Je tiens à le dire, maintenant c’est mieux. Ce type de centre à vocation à disparaître de toute façon. Il y a eu la loi de 2002 sur l’hébergement, l’humanisation des structures d’hébergement en fait. Anciennement, il y avait la Mie de pain qui était dans le 13ème. C’était un très vieux centre d’hébergement qui datait du début 20ème ou fin 19ème. Il y avait 400 places l’hiver mais fallait voir les conditions quoi. C’était très difficile. Vous parliez d’odeur, voilà. Evidemment, c’est du très gros collectif donc tout le monde est confronté à la promiscuité, à des personnes qui sont dans une situation sanitaire, médicale ou psychique encore pire. Donc il y a la cohabitation qui est difficile. Ce centre là était complètement rasé et aujourd’hui, c’est des chambres de 2 ou 3 personnes maximum avec des ascenceurs, un accès pour les personnes à mobilité réduite dans certaines chambres. C’est tout neuf. Mais cette volonté en fait d’humanisation, c’est avoir un hébergement digne en fait avec un accompagnement social, avec un centre qui est ouvert toute la journée. Aujourd’hui il y a de moins en moins de centres qui ferment la journée en fait. Il n’y en a quasiment plus. Donc vous pouvez rester toute la journée, vaquer à vos occupations si vous travaillez de nuit, il y a des personnes à qui ça arrive.
Mohamed : Le problème c’est le logement.
Jean-Sébastien Daniel : Le problème c’est le logement, entre autres. Vous avez des personnes, on le voit avec la continuité de l’hébergement. Les séjours s’allongent, s’allongent. On a des personnes qui sont dans le même centre d’hébergement depuis 3, 4 ans. Donc c’est très bien parce qu’elles peuvent se poser, se reposer, reprendre leur situation sociale et administrative en main, leur santé. Mais après, bah on attend. On attend. Il n’y a pas de sortie en logement, en CHRS. En même temps la différence entre un centre d’hébergement d’urgence et de réinsertion sociale, la différence a vraiment tendance à s’amoindrir puisque vous avez un accompagnement social, vous êtes hébergé dans la durée, vous avez un contrat de séjour. Il y a une participation financière pour certains. Donc la différence, on ne sait pas trop où elle est mais malheureusement c’est ça le problème. Il y a trop peu de fluidité sur le dispositif. Un centre d’hébergement d’urgence pour moi la vocation c’est, l’occupation ça doit être quelques semaines, quelques mois et ensuite on part vers autre chose. Le dispositif est imaginé comme ça. Les SIAO, l’idée, c’est ça en fait. Sauf que ça marche s’il y a suffisamment de fluidité, c’est-à-dire suffisamment de mouvement. S’il n’y en pas, le système est embolisé et personne ne rentre.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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