Sandra : De retour à l’émission radio Vivre avec le VIH. Vous êtes avec Christian, Marco, Mohamed, Victor et moi-même. Nous continuons l’émission, nous allons parler de l’indépendance des facs de médecine par rapport aux laboratoires. Troisième et dernière partie avec Paul Schaeffer qui est en pleine rédaction de sa thèse qui s’intitule les facs de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Il est membre du FORMINDEP, une association qui milite pour une formation et une information indépendante dans le domaine de la santé. Il a mis en lumière plusieurs problématiques. Les profs qui font directement de la pub pour des labos, les visiteurs médicaux qui viennent dans les hôpitaux pour vendre des nouveaux médicaments tout en minimisant les effets secondaires. La création de nouveaux médicaments qui ne sont pas en fait des nouveaux médicaments mais juste des imitations et puis surtout, il y a seulement 9 facultés sur 37 en France qui ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts qui surgissent en cas de lien de l’établissement ou de ces enseignants avec l’industrie du médicament. C’est la faculté de Lyon Est qui est arrivée en tête avec un score de 5 points sur un maximum possible de 26 points. Je vous invite à écouter l’émission du 7 février et du 24 janvier si vous avez manqué les précédentes. Aujourd’hui, nous allons écouter la dernière partie de l’entretien.
Début de l’enregistrement.
Sandra : Tu disais qu’aux Etats-Unis, les firmes financent les parties politiques, qu’elles jouent aussi un rôle en politique. Est-ce qu’en France, c’est le cas ?
Paul Scheffer : En France, c’est interdit de financer les partis politiques. En revanche, depuis la loi Pécresse, les entreprises ont le droit de financer les facs des universités. Et du coup maintenant, on voit par exemple à Lyon Sud, il y a un amphithéâtre Boiron, qui a été financé à 50% par les laboratoires Boiron. Christian Boiron, son PDG, intervient dans les cours de première année des étudiants de médecine. Et il est membre du conseil d’administration de la faculté avec Charles Mérieux aussi, parce que Lyon Sud s’appelle Lyon Sud Charles Mérieux. Ce qu’on a aussi, c’est qu’on voit que ça commence à apparaître, des chaires d’entreprise donc des chaires universitaires d’entreprise au sein des facultés de médecine. Donc ils sont financés par les entreprises et après, je ne suis pas entré dans le détail de comment ça fonctionne mais sans doute qu’elles sont assez étroitement pilotées par les firmes. D’ailleurs, on est beaucoup plus à parler de firmes pharmaceutiques que de laboratoires pharmaceutiques.
Sandra : Pourquoi ? C’est quoi la différence ?
Paul Scheffer : Parce qu’il y a de moins en moins de recherche, comme je le disais tout à l’heure, qui est faite par les firmes. Et vu que c’est plus du marketing et plus que du business. Laboratoire, ça donne quand même encore une connotation de recherche, de sérieux, etc, sur lequel ils jouent d’ailleurs. Et donc on est beaucoup à dire qu’il faudrait plutôt les appeler des firmes.
Sandra : Pour toi, comment devrait se comporter un étudiant ou plutôt un soignant, parce que bon, les étudiants on va dire qu’ils subissent plus davantage, mais un soignant, un chercheur, comment il devrait se comporter avec les gens qui bossent dans les firmes ? Quelle relation devrait-il avoir ? Quelle limite doit-il se poser selon toi et selon FORMINDEP ?
Paul Scheffer : D’ailleurs, on pourrait quand même parler du rôle des étudiants qui sont très moteurs, c’est une des sources d’espoir dans le changement pour une formation plus indépendante. Mais sinon, par rapport aux soignants, il y a plein de manières de continuer à se former ou de réfléchir à ses pratiques de manière indépendante. C’est ça qui est bien dans le champ de la santé. On a parlé de la revue Prescrire, qui est une revue mensuelle. Prescrire, ils font aussi un test de lecture où les gens peuvent justement actualiser leurs connaissances, vérifier à travers ce test où est-ce qu’ils en sont, s’ils ont bien retenu les données principales, etc. Ils organisent aussi des rencontres Prescrire tous les deux ans qui permettent aux gens de se retrouver, de tisser du réseau au niveau local, d’entendre des conférences sur des sujets etc. C’est très important de sortir de la solitude. Si on se sent isolé avec ces valeurs-là, et que tout le monde autour fonctionnent avec les labos, c’est super dur de continuer à travailler dans ces conditions. Le FORMINDEP a été créé notamment pour ça, par le docteur Philippe Foucras qui disant moi je veux rassembler les solitudes. Il appelait ça comme ça. Des gens qui ont cette sensibilité mais qui peuvent être un peu écartés. Ca, c’est important. Et on le voit avec les étudiants. Il y a des étudiants qui se rassemblent aussi. Maintenant c’est encore plus facile vu que l’ANEMF, l’association nationale des étudiants en médecine de France, donc la grosse association des étudiants des deux premiers cycles, jusqu’à la 6ème année, vu qu’elle s’est positionnée très fortement sur ces questions depuis 2014. Il y a des antennes partout de l’ANEMF. Il y a aussi MEDSI, un réseau pour le développement de la solidarité innovante. Eux aussi ont des antennes locales. Il y a des groupes. Surtout, je pense que dès qu’on est deux, trois et même plus, ça y est, on n’est plus tout seul et on peut faire des choses.
Ca se voit bien avec le collectif d’étudiants de la troupe du rire, qui sont des étudiants de Paris 5, 7, moi aussi je fais partie de ce collectif, qui ont fait un petit livret de 30 pages qui tient dans la blouse des médecins, qui s’appelle pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques. Ils ont fait un super boulot de vulgarisation pour parler de ces sujets de manière simple et concise. Ils ont réussi à récolter des fonds grâce à une campagne de financement participatif. Le livret a été diffusé à plus de 30 000 exemplaires depuis 2015 dans toutes les facs. Donc avec quelques-uns, on peut faire vraiment des choses très intéressantes et surtout ne plus se sentir seul et isolé face au courant dominant.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Paul Scheffer au micro de l’émission radio Vivre avec le VIH. Vous avez 3 minutes pour réagir si vous le souhaitez dans l’équipe à ce que vous venez d’entendre. Y-a-t-il des réactions dans l’équipe ?
Christian : Oui, je très d’accord que du fait que quand même, que les entreprises puissent financer les facultés de médecine. C’est tout à fait normal. Ca les avance, c’est pour que les gars puissent approfondir les recherches et qu’ils puissent sortir de là avec quelque chose de bien, des bons médicaments. Ici, on a quand même la possibilité de voir, il y a des contrôleurs de médicaments, des gens qui rassurent que le produit qui sort est de bonne qualité, est véritablement bien. Moi, je suis tout à fait d’accord avec ça. Maintenant, par rapport aux génériques que tu voulais parler qui sont distribués et puis parfois le médicament ne fonctionne pas bien dans le corps…
Sandra : Je n’ai pas parlé de ça. Je parlais des imitations de médicaments. C’est-à-dire que par exemple, un laboratoire va inventer un médicament, super et tout. Et puis un autre laboratoire ou même le même laboratoire va faire un nouveau médicament et puis il dit que celui-là est meilleur que l’autre alors qu’en fait, c’est juste des copies. Donc toi, tu es d’accord pour que les entreprises financent les facs alors que Paul Schaeffer n’est pas d’accord avec ça. C’est ton avis. D’autres réactions ?
Victor : Je suis d’accord que les entreprises puissent financer des facultés de médecine. Pourquoi ? Parce que ces entreprises, il y a un collectif, ce collectif essaye quand même de participer, à l’amour de l’humanité pour ceux qui souffrent peut-être. Ils savent qu’il y a beaucoup de gens qui sont malades dans le monde et puis moi je trouve que c’est une bonne chose.
Sandra : D’accord. Deux personnes qui ne sont pas d’accord avec Paul Schaeffer du coup. Est-ce qu’il y a d’autres réactions dans l’équipe ou bien sinon, vous réagirez sur le site comitedesfamilles.net ou aux prochaines émissions.
Mohamed : C’est assez bien ce qu’il fait Paul Schaeffer et ses collègues, avec les étudiants, de pouvoir dissocier ce qui vient de l’industrie pharmaceutique et ce que les étudiants prônent. Je trouve que son idée de rassembler les solitudes est très forte. Puis après, je crois que ça reste un éternel combat entre les laboratoires et le business. C’est ça surtout. Mais leur combat est louable.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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