Sandra : On va écouter Bernard Escudier sur l’essai Ipergay. C’est un ancien militant du PACS, militant depuis longtemps dans la lutte du VIH, concerné, on va l’écouter tout de suite.
Début de l’enregistrement.
Bernard Escudier : Moi, je considère que ce médicament est un médicament, qu’on s’intéresse à des personnes qui ne sont pas malades. Je ne suis pas du tout hostile à la PrEP. Pour moi c’est un outil de la prévention qui doit être combiné à d’autres, comme le préservatif. Je rappelle que même ceux du comité d’expert qui justement soutiennent l’emploi de la PrEP et du Truvada, ces personnes-là disent toujours qu’il faut que ce soit associé au préservatif. Mais ce qu’on oublie de mentionner c’est que, qui dit Truvada, dit bareback aussi. Parce qu’on s’est rendu compte que les contaminations des homosexuels, des gays continuent de manière régulière, malgré les efforts d’association historique comme AIDES qui fait un travail extraordinaire, nous le savons tous. Donc bareback et Truvada, c’est-à-dire que pour les gens qui ne mettent pas de capote pour avoir un sexe sans tabou, bon ça peut marcher. Mais moi j’ai dû mal à penser quand même comment des gens qui ne mettent pas de capote vont prendre une pilule. Bon, peut-être qu’ils vont le faire et peut-être que leur partenaire occasionnel se dit je veux m’éclater, je vais prendre des pilules. Peut-être, pourquoi pas.
Ce qui m’inquiète, c’est que derrière il y a la banalisation du VIH et des traitements. Je m’explique. C’est-à-dire qu’on a l’air de dire de plus en plus et ça c’est avec l’effort je dirai régulier d’association historique. On dit tous les traitements sont formidables, maintenant tout est allégé, les molécules sont formidables aussi, la vie est radieuse. Bon. Donc, le traitement du VIH c’est comme prendre une pilule contraceptive pour certains. Le traitement du VIH, la trithérapie en pré-exposition ou en post-exposition c’est comme pour les malades du diabète. Moi, j’ai dû mal à comprendre. Je veux bien qu’on banalise le VIH si on dit que les choses sont mieux encadrées par les docteurs mais quand même il ne faut pas dédiaboliser complètement. Il faut savoir ce qu’on fait. Le virus est virulent. Le virus est toujours là et il se répand. Donc cette banalisation m’inquiète beaucoup. J’aurais préféré qu’on fasse la promotion de la PrEP en disant : « oh les gars, oh les filles, faites attention parce que le virus est toujours là ». Ne banalisons pas ce VIH.
Moi, j’ai en tête les commentaires d’un gars qui dans un forum d’une association historique fort reconnue, disait que tout est extraordinaire, qui courait, qui faisait le marathon les uns après les autres. Qui disait c’est fini, on peut traiter le VIH facilement. Maintenant, c’est tout le contraire parce que malheureusement son corps a mal réagi, a évolué. Et donc, je pense qu’il ne faut pas faire valoir de faux espoir. Le VIH est une maladie, le virus ne doit pas être banalisé et oui, vive la PrEP si c’est un outil de lutte. Mais un outil de lutte sans banaliser
En revanche j’ai vu une chose une fois qui m’a étonnée dans un sauna. On faisait faire des tests à des garçons, des tests pour la sérologie et puis après hop, on leur disait bon, vous avez la chance de ne pas être malade, de ne pas avoir été contaminé mais est-ce que vous voulez faire le protocole Ipergay ? Ça m’a choqué. Ah, je suis un grand naïf ! Mais je pense que profiter d’une situation où les gens sont un peu affaiblis, ils ont peur, faut dire les choses clairement, on leur dit : « hop aller, viens faire le candidat Ipergay ». Ça m’avait choqué. Je ne crois pas que c’était un grand succès, mais peut-être que je me trompe.
Ca stigmatise un groupe aussi de ceux qui sont bareback, no capote et ainsi de suite. Moi, j’ai vu des commentaires encore sur un forum de gens qui disaient : « Moi, je ne veux pas me battre pour ces gens-là qui s’envoient en l’air dans n’importe quelles conditions ».
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Bernard Escudier au micro de l’émission de radio Vivre avec le VIH, qui n’est pas totalement pour, pas totalement contre cet essai. Il a des questions et j’aimerai qu’on réagisse suite à ses propos. Par rapport à la méthode de recrutement, lui ça l’a un peu choqué en fait qu’à la même personne on lui fasse dépistage rapide pour savoir si elle est séropositive ou pas et puis le test indique que non et donc du coup on lui propose l’étude Ipergay. Est-ce que ça se passe vraiment comme ça Hugues Fischer ?
Hugues Fischer : Ça arrive oui. Simplement parce que c’est un des endroits où… je veux dire, les lieux de dépistage sont un des endroits où on a accès à une population potentiellement intéressée par l’essai et donc effectivement oui ça arrive. C’est complexe de recruter dans un essai de prévention d’une manière générale, c’est un problème difficile. Où faut-il aller recruter pour un essai de prévention ? Quand on fait des essais thérapeutiques chez des malades, c’est facile. Les malades arrivent tout seuls. Donc on peut leur proposer un essai. Il y a des questions éthiques là-dessus qui ne sont pas plus faciles à résoudre. Mais c’est vrai que recruter des séronégatifs par principe c’est un problème difficile. Et donc, effectivement, c’est sûr que le meilleur mode, le plus classique pour arriver à recruter c’est de recruter des gens qui viennent spontanément et des gens qui viennent spontanément, ils viennent se faire dépister.
Sandra : Daniel a réagi sur cette question. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de la méthode de recrutement pour cet essai. Il m’a dit :
Je pense que tous ces types de recrutements valent le coup d’être tenté bien que c’est difficile de parler prévention dans un lieu de convivialité, de fête, détente ou même de consommation sexuelle. J’ai déjà vu des stands associatifs à l’entrée de plages gays et les mecs qui viennent avant tout pour profiter du cadre n’ont pas forcément envie d’entendre parler de prévention. De même pour les lieux de consommation sexuelle, écouter un discours baser sur la protection des risques qui peuvent être encourus la demi-heure qui suit peut rendre le recrutement difficile. Mais c’est pourtant là que l’on peut trouver avec certitude les profils correspondant à l’étude.
Il faudrait peut-être également que les professionnels de santé (infectiologues, infirmières ETP, psychologues, etc.) proposent la participation des partenaires de personnes suivies dans leurs services quand ils en ont connaissance (ce qui est peut-être déjà le cas).
Yann et Christophe, que pensez-vous de la méthode de recrutement ? Est-ce que comme Bernard Escudier vous êtes choqués par la méthode ou pas ?
Yann : Pas vraiment parce qu’effectivement là où on peut recruter, on recrute. C’est ce que disait Hugues. C’est vrai qu’on a du mal à trouver des personnes donc… et puis c’est une question à laquelle chaque individu a le droit de répondre non aussi. Donc il n’y a pas de mauvaise question, il y a que des sottes réponses.
Christophe : Je crois qu’il faut absolument aller dans les endroits où les gens sont concernés. Même si ce n’est pas très agréable pour les visiteurs qui sont là.
Yann : On voit même que c’est encore difficile pour le test rapide de faire comprendre aux gens que c’est une chance de pouvoir faire un dépistage rapide, bien entouré quoi.
Sandra : Une dernière question, il reste 10 minutes avant la fin de l’émission et Jean, je ne t’oublie pas. On n’a pas parlé des effets secondaires du Truvada. C’est quand même un traitement VIH et d’ailleurs c’est dit dans la présentation de l’essai Ipergay, il y a quand même des risques je crois de diarrhées, il y a d’autres effets… si c’est quand même écrit, vous faites non de la tête Hugues mais c’est quand même écrit.
Christophe : L’aspirine aussi. Ce n’est pas ça le gros problème.
Hugues Fischer : J’ai pris du Truvada pendant 10 ans, je connais.
Sandra : Pour toi Christophe, il n’y a pas de problème à proposer un médicament VIH à une personne qui n’est pas séropositive.
Christophe : Effet secondaire, tous les médicaments ont un effet secondaire. Il ne faut pas nier non plus les effets secondaires. C’est vrai que moi je prends du Truvada je ne sais même plus depuis combien de temps, voilà bon.
Hugues Fischer : Quand je vais en Afrique, ça m’arrive assez souvent quand même d’aller dans des zones endémiques de moustique. On me propose des antipaludéens dont franchement les effets secondaires par rapport au Truvada je ne voudrai pas dire mais je préfère éviter les pays à moustique plutôt que… c’est aussi bête que ça. Même le Nivaquine, excusez-moi, mais les maux de tête et machins de ce genre ce n’est vraiment pas rigolo avec. Et alors les derniers antipaludéens je trouve qu’ils sont encore pires. Traitement prophylactique pré-exposition, voilà. C’est exactement le cas de figure et en terme d’effet secondaire, ce n’est pas génial.
Sandra : Pour terminer, Yann maintenant la PrEP qu’est-ce que tu en penses ? Tu as presque tous les éléments après cette discussion d’une heure. Si une de tes connaissances participait à cet essai, est-ce que tu l’encouragerais ou est-ce que tu serais septique ?
Yann : Ah non non, s’il participe, je vais l’encourager parce que voilà, je ne vais pas lui couper l’herbe sous le pied. Mais je ne sais pas, c’est vrai que ça ne me parle pas beaucoup. Après, moi je vois dans le milieu hétérosexuel, moi je suis séropositif depuis plus de 25 ans, je l’ai déjà dit, il y a encore malheureusement beaucoup de personnes hétérosexuelles qui font l’amour sans préservatif. Dans mes dernières rencontres si je ne l’avais pas dit, on passait au lit sans même effleurer le sujet. Moi, la PrEP à 40%, je ne suis pas sûr. En plus, j’ai quelques amis homosexuels quand ils sont chauds sur la fesse, ils pensent ni à mettre le préservatif ni à mettre un cachet sous la langue. Donc voilà quoi, ce n’est pas du tout un jugement je veux dire…
Sandra : On verra les résultats.
Yann : On verra. Ce que je me dis c’est que faire un essai, bon, effectivement ça coûte de l’argent mais est-ce qu’on doit rentrer dans cette polémique de l’argent ? Moi, j’en sors à peine avec mon traitement VHC donc si à chaque fois les spécialistes disent oui, c’est encore de l’argent à dépenser peut-être pour rien. Ce n’est jamais dépenser pour rien, on aura le recul, bientôt les résultats seront donnés, donc on verra bien.
Sandra : Jean, pour terminer l’émission. Alors la PrEP est-ce que tu penses que c’est quelque chose qu’il faut poursuivre ou pas ?
Jean : Pour moi oui, il faut absolument avancer dans tous les domaines. Mais après, qu’on prenne le Truvada, qu’on n’utilise pas le préservatif, est-ce que ça ne va pas entraîner d’autres maladies comme disait tout à l’heure Yann. Il y a un problème aussi d’hygiène personnelle.
Sandra : On en reparlera quand on aura les résultats. On pourra vraiment faire le bilan, savoir si ça valait le coup ou pas de faire cet essai.
Christophe : Une étude sur 4 ans, il y a des résultats au bout de 4 ans. Bon, déjà maintenant, au bout de 2 ans. Mais on verra, observera certainement aussi les effets de l’étude dans 10 ans, dans 15 ans. Une étude ça ne s’arrête pas au bout de 4 ans.
Yann : J’avais une question. Si par exemple dans les lieux comme ça de sexe, de nuit plutôt, si un homosexuel souhaite vraiment garder son préservatif, est-ce qu’il va avoir du mal à rencontrer quelqu’un ?
Christophe : Il rencontrera quelqu’un d’autre (rires).
Sandra : Non mais, est-ce qu’on va lui dire : « non, moi je ne veux pas de relation avec préservatif ». C’est ça ?
Hugues Fischer : Ça existe oui. Tous les cas de figure existent.
Yann : Oui, comme chez les hétérosexuels d’ailleurs. Mais ce que je veux dire c’est que comme vous dites que la majorité maintenant sont sous la coupe de se dire bah moi-même si je suis séropositif, je suis traité, j’ai une charge virale indétectable, donc je ne peux pas transmettre, bien qu’on ne sait pas qui on a en face non plus, est-ce que cette personne va être, risque de repartir avec son préservatif sans l’avoir ouvert parce qu’elle peut avoir des refus un peu systématiques en pensant soit qu’elle est porteuse soit que…
Hugues Fischer : Globalement, de mon expérience, les refus sont rares. Mais je ne dirai pas qu’il n’y en a pas. En revanche si je peux te dire une chose en mot de conclusion pour moi sur la PrEP c’est qu’à l’heure actuelle on est dans une période où on est en train d’évaluer, on a un essai qui est en cours. Tout ça va se terminer, il va avoir des résultats, on peut estimer qu’en 2017, on aura un résultat définitif de l’essai. Il ne faut peut-être pas attendre 2017 pour commencer à essayer de réfléchir sur la manière dont on peut s’approprier la PrEP comme moyen de prévention. Et effectivement, on a eu beaucoup de discussion là-dessus, il y a beaucoup de questions soulevées qui sont sur cet aspect-là, c’est bien qu’on ait ce genre de débat aujourd’hui et que ça ne tombe pas juste dessus au moment où on a un résultat et qu’à ce moment-là ce soit la débandade et que ça parte dans tous les sens. Il vaut mieux effectivement réfléchir à ce qu’on pourrait faire de la PrEP aujourd’hui.
Sandra : Mais pour réfléchir à ce qu’on peut faire de la PrEP faut quand même des résultats. Si la conclusion de l’essai c’est que finalement ça ne marche pas, bon bah…
Hugues Fischer : Oui.
Christophe : Peut-être une conclusion : vive le préservatif !
Sandra : Voilà, le meilleur moyen de se protéger, vraiment, c’est le préservatif.
Christophe : On n’en parle pas assez.
Sandra : Après, n’oublions pas aussi que dans les couples stables, il y a aussi un moyen de prévention quand il s’agit d’un couple sérodifférent. C’est de se protéger par le traitement. La personne séropositive prend un traitement, elle doit être observante, avoir une charge virale indétectable depuis au moins 6 mois et ne pas avoir d’autre MST et ainsi que la personne séronégative sinon, ça ne marche plus.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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