Sandra : Comment les séropositifs se soignent-ils ? Où sont-ils suivis ? Sont-ils observants ? Existe-il des différences entre les différentes populations (les hommes, les femmes, les personnes immigrées, les usagers de drogues).
Rosemary Dray-Spira : Déjà la population atteinte par le VIH se répartit à peu près, 40% suivis en Ile-de-France et 55% hors d’Ile-de-France. L’enquête VESPA, il faut dire que c’est une enquête qui a eu lieu uniquement parmi les personnes suivies à l’hôpital. C’est-à-dire que toutes les personnes qui ne vont jamais à l’hôpital ne font pas partie de l’enquête. C’est comme ça…
Sandra : Si elles sont suivies par leurs médecin généralistes, elles ne sont pas dans l’enquête.
Rosemary Dray-Spira : Voilà. Uniquement en ville. En revanche, on a quand même pu capter dans l’enquête des gens qui venaient, par exemple juste une fois par an à l’hôpital pour faire un bilan annuel. On les a inclus et on en tient compte dans l’enquête. C’est celle qui ne viennent jamais à l’hôpital.
Yann : J’ai une question, si on vient uniquement en consultation et qu’on fait ses analyses à l’extérieur de l’hôpital, on est quand même considéré, pris…
Rosemary Dray-Spira : Oui. En fait on inclut les gens qui venaient en consultation ou en hôpital de jour.
Yann : Très bien.
Rosemary Dray-Spira : Donc pour ce qui est du traitement en fait, ce qui est vraiment impressionnant dans l’enquête VESPA c’est que maintenant l’immense majorité des personnes sont traitées. C’est vraiment un gros changement par rapport à 2003. On a plus de 93% des personnes de l’enquête qui sont traitées par antirétroviraux. Parmi ces personnes traitées, là encore, l’immense majorité à peu près 90% ont une charge virale indétectable et ça, on a des taux très élevés dans tous les sous-groupes de la population séropositive. Ca suggère que le traitement est beaucoup prescrit quelque soit les groupes et que dans tous les groupes les gens sont observants et on a un taux de succès thérapeutique qui est très élevé.
Sandra : Pourquoi les gens prennent mieux leurs traitements ? Est-ce parce que les traitements sont plus efficaces ? Il y a une meilleure tolérance ? Ou c’est parce que le traitement antirétroviral permet de protéger son partenaire lors de relations sexuels si on n’a pas d’autre MST [[maladies sexuellement transmissibles]], une charge virale indétectable…
Rosemary Dray-Spira : Alors ça on ne peut pas comprendre ça à partir des données qu’on a recueillies mais probablement effectivement que tous ces facteurs jouent. En 2003 on avait encore, on était à l’époque des traitements qui se prenaient, énormément de comprimés à des heures fixes. C’était un traitement hyper compliqué avec des effets secondaires très marqués…
Yann : Souvent des trithérapies en 5, 6 médicaments à raison de deux prises par jour…
Rosemary Dray-Spira : Oui, deux heures avant le repas, une heure après et puis avec des effets secondaires très forts et quand même les traitements ont fait énormément de progrès au cours des années 2000.
Yann : C’est fou.
Tina : Et puis il y a certainement aussi le fait que les médecins prescrivent beaucoup plus systématiquement le traitement alors que moi quand j’ai été dépistée en 2003, je n’ai pas pris de traitement jusqu’en 2011. Je pense qu’aujourd’hui, dans la même situation, peut-être qu’on m’aurait toute de suite mise sous traitement j’imagine. Je sais qu’il y a toujours des personnes sans traitement parce qu’ils contrôlent bien mais je pense que c’est plus marginal.
Rosemary Dray-Spira : Ah oui tout à fait et ce qu’on voit c’est que parmi les personnes qui ont été diagnostiquées au cours des dernières années, la durée entre le diagnostic et la mise sous traitement, la durée médiane, c’est-à-dire qu’il y a 50% des gens qui sont mis sous traitement en fait dans les 6 premiers mois, et 50% après 6 mois. La durée médiane de mise sous traitement est de 6, 7 mois. C’est très rapide.
Yann : Mais je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée du choix du médecin de prendre le temps, de voir l’évolution si les résultats sont bons, pourquoi mettre tout de suite en place un traitement lourd ? Dans ton cas Tina je pense que c’était une bonne chose.
Tina : Oui pour ma part, 8 ans sans traitement je suis très contente (rires). J’ai épargné 8 ans surtout que c’était encore les moins bonnes trithérapies. On sait qu’ils s’améliorent toujours donc gagner des années c’est toujours bon. Mais j’ai aussi entendu l’argument qu’il dit que malgré tout être mis sous traitement tôt, ça évite que le virus prenne place…
Yann : Ca l’abrutit encore plus quoi.
Rosemary Dray-Spira : Oui, il constitue des réserves.
Tina : Voilà, qui constitue des réserves. Donc ça peut avoir quand même un effet néfaste, même si les résultats sont bons, de ne pas être sous traitement. On laisse la place au virus pour se développer.
Rosemary Dray-Spira : En fait c’est des choses, voilà on avance avec la recherche et effectivement actuellement on pense ça. Mais au début des années 2000 on se disait il vaut mieux traiter le plus tard possible pour éviter l’apparition de résistance, d’effets secondaires, etc. En fait les choses évoluent beaucoup au cours du temps. Ce qu’on voit quand même c’est qu’en France il y a des recommandations qui sont pour la prise en charge de la maladie, qui sont faites au médecin, qui sont mises à jour tous les 2 ans et qu’en fait elles sont extrêmement bien suivies et on voit que ces évolutions de la recherche du coup sont prises en compte de façon très rapide dans la pratique des médecins prescripteurs dans le domaine du VIH.
Tina : A ce sujet, le rapport Morlat [[le rapport 2013 de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH]], il y a de grandes différences avec le rapport Yéni précédent ou on ne le sait pas encore ?
Sandra : Tu es impatiente Tina, on en parlera à l’émission.
Rosemary Dray-Spira : Je crois qu’effectivement l’idée c’est de traiter de plus en plus tôt. C’est ça au niveau international aussi. Au mois de juillet l’OMS, donc l’Organisation mondiale de la santé a revu ses recommandations, qui sont des recommandations mondiales de prise en charge et maintenant les recommandations officielles au niveau mondial c’est de traiter tout le monde dès 500 CD4.
Tina : D’accord, donc ça s’applique aussi dans les pays pauvres…
Rosemary Dray-Spira : Tout à fait. On est vraiment en train de venir à traiter tout le monde. Non seulement pour le bénéfice individuel des gens mais aussi comme vous le disiez, pour le bénéfice collectif c’est-à-dire pour agir sur le risque de transmission.
Sandra : Oui donc on rappelle, pour ceux qui ne connaissent pas parcequ’on l’a dit un peu vite peut-être. Une personne séropositive qui prend corrrectement son traitement, donc qui est observante, qui a une charge virale indétectable et pas d’autre MST depuis 6 mois, ne transmet pas le VIH lors de rapport sexuel. Donc je voulais savoir, au Comité des familles, par rapport aux traitements, on disait que les séropositifs prennent bien leurs traitements, est-ce qu’au Comité des familles quand vous discutez avec les gens, vous remarquez qu’eux aussi prennent bien leur traitement ou est-ce qu’ils refusent de le prendre ? Des problèmes d’observance ?
Yann : Moi c’est vrai qu’avec les nouvelles personnes que je croise, alors il y a l’historique du VIH qui fait que tout me paraît plus simple, passer d’une quantité de médicaments moindre quand moi personnellement j’ai connu les 15 ou 17 médicaments, je vois qu’il y a une facilité quand même. Pour certains c’est 1 ou 2 médicaments, 1 seule prise et puis la conscience aussi parce que pour un public africain par exemple, la conscience aussi parce qu’ils ont eu des répercussions dans leur pays où il y a des arrêts de traitement où les personnes ne peuvent pas avoir un traitement régulier tout le temps. Donc ils ont aussi cette conscience d’avoir la chance d’être ici et de pouvoir être correctement soigné. Je pense que les gens ont une bonne observance même si avec les ateliers et tout ça, on rappelle l’importance de bien prendre son traitement.
Tina : Et puis après on ne peut jamais savoir s’il y a un tabou autour de cette question ou non mais il y a certaines personnes qui effectivement nous expliquent cette impossibilité de bien prendre le traitement et ce sont des personnes très bien informées qui savent exactement le bénéfice, qui ressentent les symptômes négatifs de ne pas prendre bien le traitement mais qui n’y arrivent pas. Ce n’est pas un manque d’information, un manque d’accès aux soins, c’est des personnes qui ont fait de l’éducation thérapeutique, qui ont tout fait mais jusqu’à présent…
Yann : Parfois il y a des abandons, on lâche un peu les bras ou on a envie d’une fenêtre thérapeutique, c’est normal.
Tina : Et je pense justement à une personne, elle sa seule motivation ça été au moment de sa grossesse. Elle a dit à ce moment-là il n’y avait aucun problème pour prendre religieusement bien son traitement tous les jours. Mais une fois qu’elle a accouché, c’était reparti et elle s’accroche vraiment pour y arriver. Oui, il y a ces personnes qui échappent alors que les conditions sont là. Mais ça se passe dans la tête.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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