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09.12.2013

Francis : «Le VIH n’est pas mon identité»

Christine Hamelin, Francis, Sandra et Margot Annequin

Sandra : Francis je vais te demander de raconter ton parcours depuis le jour où tu as appris ta séropositivité. Où étais-tu ? Que s’est-il passé ensuite ? Bon évidemment raconter toute une vie en si peu de temps, c’est presque incorrect de ma part de te demander de faire ça. Mais juste pour brosser un peu ton portrait, ton parcours.

Francis : Merci Sandra. Il faut dire que je suis originaire d’Afrique subsaharienne. Je viens de l’Afrique de l’Ouest, précisément du Burkina Faso. C’est étant au Burkina Faso contrairement à la plupart des personnes séropositives d’Afrique subsaharienne, qui découvrent leur sérologie ici en France, moi j’ai découvert ma sérologie étant en Afrique. C’est important de le dire. Et puis j’ai continué ma vie professionnelle tranquillement en Afrique jusqu’à ce que j’ai déclaré un cancer. Il fallait subir la chimiothérapie qui ne se faisait pas à l’époque au Burkina Faso. C’était la croix et la bannière ou bien il fallait se laisser bloquer par les barrières administratives et mourir tranquillement ou bien il fallait développer des initiatives, trouver des astuces pour aller se faire soigner. C’est la deuxième solution que moi j’ai choisie. Étant donné que j’étais salarié, j’avais une vie assez confortable, j’avais les moyens de venir en France, etc. J’ai officiellement pris mon congé annuel, mes vacances annuelles officiellement je dis bien. Et je suis venu en France pour passer un mois de vacances tranquilles quoi. Mais dès que je suis arrivé c’était directement l’hôpital. Mon parcours hospitalier a duré plus d’une année. Et après ma chimiothérapie, après la radiothérapie, j’ai eu des effets secondaires de la chimiothérapie sur mes os. Aujourd’hui je porte trois prothèses. Deux prothèses totales de hanche, une prothèse à l’épaule, et l’autre épaule est encore en attente. Du coup, du fait de ces prothèses aujourd’hui, il m’est impossible de retourner m’installer au Burkina Faso parce qu’il n’y aura pas le suivi approprié. Donc toutes ces conditions m’obligent aujourd’hui à résider ici et puis bon l’un dans l’autre, Dieu merci, je viens d’acquérir la nationalité française. Ça se passe plutôt bien. Il ne faut pas trop s’en plaindre non plus.

Sandra : Aujourd’hui est-ce que tu travailles ?

Francis : Aujourd’hui je travaille depuis que je suis sorti de l’hôpital. Dès que c’était possible, j’ai commencé à faire des petits jobs. J’ai fait du publipostage à la Villette.

Sandra : Tu peux expliquer ?

Francis : Oui, c’est de mettre les prospectus dans les enveloppes, coller des adresses pour les envoyer par rapport aux activités du parc de la Villette. Ensuite j’ai été agent d’accueil dans une association ARCAT, une association de lutte contre le VIH. En fait c’était un remplacement. Il y a un salarié de l’association qui avait été mis en arrêt pendant une année et les responsables de l’association nous ont proposé cette année-là, chacun a fait 4 mois d’accueil. Ça a servi un peu à alimenter un peu notre CV. Après j’ai pu trouver un boulot en contrat aider auprès du CAP Emploi dans le 93 à Aulnay-Sous-Bois. J’ai été agent d’accueil à Aulnay-Sous-Bois pendant deux ans en contrat aider. Et c’est à l’issue de ça que j’ai eu un CDI auprès de Moneygram, qui est une société américaine qui fait du transfert d’argent. C’est les concurrents de Western union. Depuis quelques années je suis en CDI auprès de Moneygram. Mais je travaille à mi-temps, 4 demi-journées par semaine. D’arrangement en arrangement on a fini par me faire deux longues journées dans la semaine et le restant de la semaine je suis assez disponible. Au lieu de faire 4 déplacements dans la semaine je fais que 2 déplacements maintenant. Je bénéficie de l’allocation adulte handicapé pour compléter mon demi-salaire. Et puis je vis ma petite vie tranquille quoi.

Christine Hamelin : Est-ce que sur votre lieu de travail vous avez parlé de votre séropositivité ?

Francis : Sur mon lieu de travail, je suis reconnu comme travailleur handicapé. Mais le VIH pas de façon particulière. Il faut dire que je vis avec mon VIH comme tout le monde vivrait avec son hypertension…

Christine Hamelin : Une maladie chronique en fait.

Francis : Son diabète, maladie chronique et puis pas plus que ça. Ce n’est pas mon identité, ce n’est pas une marque particulière. Il faut savoir simplement que je suis un travailleur handicapé, ça je l’assume complètement et puis il n’y a pas de problème. Quand c’est nécessaire de parler de la séropositivité on en parle. Quand ce n’est pas nécessaire, je me tais et puis j’écoute les gens raconter ce qu’ils ont à raconter. Je vis avec.

Sandra : Francis as-tu eu des difficultés à te loger, à trouver un logement, à ton goût ?

Francis : Ah ! Ça, c’est clair ! Le logement je ne l’ai pas choisi. J’ai eu de la chance parce que je le dis souvent je suis un cas atypique. Il faut l’avouer. La plupart des personnes séropositives et puis d’origines subsahariennes n’ont pas la chance que j’ai eue. J’ai eu beaucoup de chance, il faut l’avouer. J’ai été accompagné dans mon parcours par une grosse structure qui s’appelle SOS Habitat et Soins. Du coup j’ai pu bénéficier des ACT. C’est les appartements de coordination thérapeutiques de SOS Habitat et soins. Au bout du compte c’est SOS Habitat et soins qui s’est battu avec la préfecture et Paris Habitat pour finalement me trouver mon studio. Je n’ai vraiment pas fait de démarches particulières, c’est eux qui se sont battus jusqu’à ce que. Évidemment une fois que j’ai intégré cet appartement, j’ai appris que c’est une personne âgée qui était malade, qui a vécu là pendant longtemps, qui a fini par décéder, qui s’est même suicidée à cause des voisins qui lui rendaient la vie un peu impossible etc. Le bruit et tout, et puis voilà. Depuis que j’ai emménagé dedans je suis confronté exactement au même problème. Donc du coup j’ai compris que ce n’était pas tout à fait bien. Parfois c’est des cadeaux empoisonnés.

Sandra : Mais tu n’auras pas le même destin que cette personne âgée, j’espère.

Francis : Écoute, si je me comportais un peu comme elle parce qu’elle en avait tellement marre qu’elle prenait son couteau de cuisine, elle sortait pour régler les comptes alors qu’elle est toute seule, qu’elle est faible et tout. Du coup elle a eu des coups et blessures, elle était toute seule. Du coup elle a été frustrée, etc et elle a fini par se donner la mort dans cet appartement-là. Je me rends compte aujourd’hui, étant donné que moi je suis tout seul, je ne mets jamais le nez au dehors, quand ces voisins en question font du bruit et que je tape un peu dans le mur pour attirer leur attention, ils descendent et viennent sonner à ma porte. Heureusement je n’ai pas ouvert. J’ai écrit plusieurs fois à Paris Habitat, ils ne s’en mêlent pas…

Sandra : Et la police ?

Francis: Je suis allé à la police. Oui, on va les convoquer mais vous savez, il faut vous entretenir avec Paris Habitat. Et puis après la dernière solution, ils me disent puisqu’ils sont connus comme violents et faisant du bruit, vous pouvez faire signer une pétition par l’ensemble des locataires. Alors voyez-moi en train de faire le tour, voilà. Du coup les solutions que vous l’on propose sont des solutions impossibles et vous êtes toujours confrontés. Pas plus tard qu’hier jusqu’à 3h du matin il était impossible pour moi de me reposer. Ce sont des gens, j’ai l’impression qu’ils dorment le matin, au moment où les gens vont au travail. Je ne sais pas trop ce qu’ils font chez eux mais c’est incroyable, c’est la catastrophe. Mais vous êtes obligés de subir ça parce que vous n’avez pas…

Christine Hamelin : D’autres solutions.

Francis : Voilà. Je suis allé à la police, j’ai écrit plusieurs fois, j’ai les copies des lettres adressées à Paris Habitat. Ils ne se bougent pas plus que ça. Ils vous disent non, on n’y peut rien. On leur a écrit une fois et puis voilà. C’est la catastrophe. Ou bien vous subissez ça ou bien un moment vous piquez une déprime et puis vous pouvez vous faire du mal à des heures, à des moments de faiblesse étant donné qu’en plus on vit tout seul avec toutes nos problématiques et tout ce qui s’en suit. Donc j’espère que je n’aurais pas le même sort que la précédente locataire.

Sandra : J’espère aussi.

Francis : Tant qu’on peut tenir on tient mais jusqu’à quand ? Voilà.

Sandra : As-tu eu des difficultés à t’alimenter à bien manger ?

Francis : D’une façon générale, avec mon salaire, avec mon allocation aux adultes handicapés, c’est à moi de me nourrir après. Ce n’est pas quelqu’un d’autre. Je fais ce que je peux et j’ai eu la chance que le service social de la mairie de mon quartier à un restaurant pour les retraités et les personnes handicapées, à deux pas de chez moi. De temps en temps je vais manger là. On me facture actuellement le repas à 5 euros 30. De temps en temps pas tous les jours. Parfois je fais la cuisine et puis parfois je me fais inviter au dehors et puis voilà. J’arrive en tout cas à jongler comme ça pour garder un peu l’équilibre.

Sandra : As-tu éprouvé des difficultés à prendre ton traitement ?

Francis : Le traitement, ça n’a pas été trop compliqué pour moi. Déjà il faut savoir que mes parents étaient de la santé. Donc depuis tout petit je suis habitué aux comprimés, aux injections à l’époque en Afrique. Les injections avec les seringues que l’on faisait bouillir et puis on recommençait voilà. Ce n’était pas des seringues à usage unique. Et puis les comprimés j’étais un peu habitué, des parents qui sont de la santé, pour n’importe quel petit bobo, on vous met sous traitement quoi. Et puis ensuite ici c’est pendant ma chimiothérapie que j’ai été mis sous traitement antirétroviral. Donc du coup il ne s’est pas posé de problème. C’est parti en même temps que l’ensemble de mes traitements. J’ai supporté les différents antirétroviraux qui m’ont été prescrits. Donc de ce côté-là je n’ai pas eu trop de soucis.

Sandra : Merci Francis d’avoir partagé ton parcours. Christine Hamelin et Margot Annequin est-ce que le parcours de Francis est similaire à ce qui est décrit dans l’enquête VESPA pour la population subsaharienne ? Est-ce qu’il y a des liens ou est-ce que Francis est un cas atypique ?

Christine Hamelin : Francis c’est Francis (rires).

Francis : Merci !

Christine Hamelin : Une personne unique. Mais effectivement on retrouve dans ce que vous avez dit des choses. On ne voit pas tout puisque votre vie, elle est unique. Mais par exemple vous avez parlé de votre cancer etc, on voit bien par exemple dans l’étude VESPA l’augmentation de ce qu’on appelle nous les comorbidités, c’est-à-dire le fait d’avoir d’autres maladies en plus du VIH. C’est lié aussi, je suis désolée Francis de dire ça, au vieillissement de la population séropositive…

Sandra : C’est une bonne nouvelle que la population séropositive vieillit.

Christine Hamelin : Effectivement, c’est une très bonne nouvelle à l’échelle de la population, à l’échelle de chaque individu aussi d’ailleurs. Donc on voit effectivement, on retrouve tout à fait, bon après c’est très dur à vivre personnellement. Mais en tout cas on voit bien cette augmentation des maladies autres qui sont associées en fait au VIH. Ça rend la vie aussi plus compliquée, plus difficile. On retrouve ça. Vous avez parlé aussi des difficultés de la manière dont vous deviez jongler finalement pour vous nourrir de manière correcte. Donc ça on voit aussi, c’est quelque chose qu’on voit bien dans VESPA. Une personne sur 5 rencontre des difficultés majeures en terme d’alimentation, ce qui est quand même vraiment beaucoup, beaucoup. En particulier dans certains groupes, plus particulier de la population qui vit avec le virus et notamment les personnes évidemment originaires d’Afrique subsaharienne qui sont des personnes globalement dans des situations, on va dire socioéconomique, plus difficiles. Effectivement on peut retrouver des choses.

Margot Annequin : C’est vrai qu’après, nous dans l’enquête VESPA, la plupart de nos migrants ont été diagnostiqués en arrivant en France et sur ça vous êtes d’autant plus unique parce que vous connaissiez votre séropositivité avant de venir. La majorité de nos migrants apprennent leur séropositivité sur le territoire français mais aussi à l’occasion de comorbités justement qui se déclarent.

Yann : À la connaissance du VIH, on t’a proposé un traitement au Burkina ?

Francis : Non. En fait il faut dire qu’au Burkina, j’avais adhéré à une association de lutte contre le VIH. Simplement parce que j’ai eu une petite soeur qui avait déclaré le sida. J’ai dû accompagner cette petite soeur. Dans cet accompagnement nous avons adhéré à une ONG. On a fait des formations, on nous a appris à parler du VIH et pour ma petite soeur je me suis énormément battu et on allait dans les quartiers populaires projeter des films aux jeunes parler du VIH, sensibiliser les familles etc. J’ai appris à en parler alors que je n’avais même pas encore fait mon test. C’est pendant l’accompagnement de cette petite soeur-là qu’un jour on était de passage au centre de dépistage. Les gens flippaient, d’autres voulaient, d’autres ne voulaient pas. Et pour donner l’exemple j’ai fait prendre mon sang. C’est comme ça que j’ai découvert ma séropositivité. Évidemment j’ai été soutenu par les membres de l’association. Et puis il ne fallait pas que ma petite soeur le sache parce qu’en fait son état se dégradait de plus en plus malgré tous nos efforts. Et d’ailleurs finalement elle en est décédé, ma petite soeur. J’ai continué à fond dans l’association et au renouvellement du bureau j’ai été élu comme vice-président de cette ONG-là, de cette association. Donc j’ai bénéficié de conditions exceptionnelles. J’ai eu tous les médecins autour de moi qui m’ont soutenu, qui m’ont encadré et tout. J’ai continué ma vie professionnelle, j’ai continué mon engagement associatif…

Yann : Sans prendre de traitement donc.

Francis : Oui, je n’étais pas sous traitement parce que le nombre de CD4 était encore très élevé. C’est dans ça après que j’ai développé le lymphome et par rapport au lymphome il a fallu partir et c’est comme ça que je suis venu ici. Alors je n’étais pas encore sous antirétroviraux quand je venais mais je prenais régulièrement un antibiotique, le Bactrim je crois.

Transcription : Sandra Jean-Pierre

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