Sandra : Que faut-il faire en cas de primo-infection ? Quand il y a une primo-infection qui est détectée chez une personne, c’est quoi le traitement à faire ?
Laurence Morand-Joubert : Quand la primo-infection donc souvent, c’est que la charge virale qui est positive ou ce qu’on appelle l’antigène P24, une protéine de la capside que l’on dose dans le sang qui est elle aussi positive puisque c’est un examen direct quoi. On ne trouve que le virus. Ce qui est préconisé aujourd’hui et ce qui est bien mis en avant c’est que plus on traite vite et plus arrêtera la dissémination dans les réservoirs. Cette quantité de virus dans les réservoirs est prédictive de l’évolution ultérieure. Ce qui est quand même facile à comprendre. Le virus plus il y en a, plus après on va avoir du mal à le combattre. Donc si on l’arrête très rapidement et qu’il est en petite quantité et que le système immunitaire n’a qu’à s’attaquer à une petite quantité, on aura plus de chances après peut-être un jour de l’éradiquer complètement. Ou bien pas de l’éradiquer mais de vivre avec sans qu’il se réplique. Qu’il soit simplement contrôlé. Donc je pense que c’est assez intuitif de se dire que plus on arrive tôt et plus on va arrêter cette dissémination virale qui va pénaliser le système immunitaire et le détruire progressivement. L’autre argument du traitement c’est la transmission. La primo-infection, les personnes sont très contagieuses et aujourd’hui on sait par beaucoup de publications ce qu’une grande partie des personnes qui aujourd’hui sont contaminées à partir de personnes en primo-infection qui ne connaissent pas cette primo-infection, leur séropositivité. Mais comme il y a tellement de virus, ils transmettent très facilement. Donc l’autre argument c’est de diagnostiquer et traiter tout de suite pour éviter de transmettre. Donc il y a un argument aussi collectif dans ce traitement. Ce n’est pas qu’un argument individuel.
Sandra : Et si une personne refuse de se faire traiter alors qu’elle fait une primo-infection c’est quoi les conséquences pour cette personne ?
Laurence Morand-Joubert : Les conséquences c’est que, le virus, bien sûr il va être contrôlé par le système immunitaire mais il va avoir un envahissement de tous les organes lymphoïdes. Donc un niveau de réservoir viral qui va être très élevé donc qui va pénaliser après la progression clinique qui va être beaucoup plus rapide, qui va être beaucoup plus sévère. Et puis l’autre cas c’est qu’elle va avoir un risque si elle ne se protège pas, de transmission quoi. Peut-être qu’il faut revenir en arrière parce que, les personnes qui ne voulaient pas de traitement ou les médecins, puisqu’avant, il y a quelques années, on disait on ne traite pas les primo-infections. L’argument c’était les traitements rendent malades, sont nocifs donc on va induire chez des gens qui vont avoir un traitement à vie, plus de pathologie. Donc essayons de commencer le plus tardivement. Maintenant on sait très bien que les traitements ont changé. On n’est plus avec les traitements qui donnent des lipodystrophies. On a même des traitements à un comprimé par jour. Donc les choses ont beaucoup changé. Avant les traitements, il y avait le problème des résistances du virus aux antirétroviraux. Donc on disait si on commence tôt on avoir après très rapidement des résistances et on n’aura pas d’autres alternatives thérapeutiques. Là aussi les choses ont complètement changé. Si vous regardez l’épidémiologie de la résistance, on voit bien qu’elle diminue. Chez les nouvelles personnes qui sont infectées, il y a beaucoup moins de résistances. Donc on a gagné en puissance. Les nouveaux médicaments induisent moins de résistance. Donc tout ça ce sont des arguments pour traiter le plus tôt et traiter tout le monde.
Sandra : Je pensais qu’une personne qui fait une primo-infection à VIH devait de toutes les façons être obligatoirement traitée parce que son état de santé allait se dégrader. Par exemple ça peut être comme symptôme une grippe et si elle ne prend pas de traitement, elle sera de plus en plus affaiblie et donc du coup…
Laurence Morand-Joubert : Non, non. Il y a des primo-infections qui sont graves avec des signes neurologiques, des encéphalites. Mais la plupart des cas, quand elles sont symptomatiques, c’est un syndrome grippal, souvent il y a une éruption cutanée, il y a des aphtes, une gingivite. Ce n’est pas agréable comme grippe mais en quelques semaines ça va rentrer dans l’ordre. Le système immunitaire va faire son travail. Et après pendant des années la personne ne va pas savoir qu’il y a plein de virus dans les organes lymphoïdes. C’est un jour quand on va mesurer, dans ce réservoir on va dire tiens, le réservoir est plus élevé chez cette personne-là que chez cette personne autre qui a été traitée. Mais ce n’est pas une… bien sûr que le traitement traite les symptômes mais si on ne donne pas le traitement, les symptômes vont disparaître et la personne va se rétablir grâce à son système immunitaire qui fait un travail au départ.
Tina : En fait, la primo-infection c’est simplement ce moment où le corps doit combattre le virus et créer ses anticorps et c’est ça qui l’affaiblit, qui le rend un peu…
Laurence Morand-Joubert : La primo-infection c’est le virus, c’est le fait qu’il y ait tellement cette décharge de virus qui va produire plein de sécrétions en fait de petites substances qu’on appelle des cytokines qui donnent en fait la fièvre, tous ces symptômes-là. Parce que justement il n’y a pas en fait de système immunitaire cellulaire où les anticorps pour pouvoir combattre ce virus puisque, pour l’instant le système immunologique ne l’a jamais vu. Donc toutes ces petites substances qu’on appelle les cytokines qui produisent en fait tous ces effets indésirables de la fièvre, de l’éruption cutanée et des ganglions, les réactions inflammatoires.
Tina : Moi en fait, quand j’ai été dépistée, ce n’était donc pas en primo-infection mais j’avais la chance d’avoir des CD4 au-dessus de 800, proche de 1000, et une charge virale très faible, je n’étais pas contrôleur mais disons en dessous de 1000 il me semble. Et je suis restée en fait 8 ans sans traitement. Finalement j’ai décidé de débuter le traitement pour protéger mon partenaire parce que mon partenaire est séronégatif. Mais c’était donc en 2003, les recommandations et l’avis du médecin c’était d’attendre que le traitement soit nécessaire pour moi. Je ne sais pas si finalement c’était une mauvaise décision ou… quelque part, ça m’a évité 8 ans de traitement, je ne sais pas ce que vous en pensez. Enfin, vous n’avez pas mes bilans sous les yeux mais d’une situation…
Laurence Morand-Joubert : De toute façon on ne refait pas l’Histoire déjà. Il y a certainement dans les gens, les personnes… déjà, vous, vous n’avez pas fait de primo-infection symptomatique. Donc les primo-infections asymptomatiques, je vous ai dit, on ne peut les traiter que si on a la notion d’une date de contamination. Et donc là, on va se mettre à 8-15 jours et on va détecter le virus et là on peut traiter rapidement. Maintenant après on sait très bien que les personnes qui sont infectées sont toutes différentes les unes des autres. Elles ont toutes un système immunitaire différent. Pourquoi aujourd’hui il y a des gens qui s’appellent des élites contrôleurs, qui contrôlent très bien, qui un jour vont quand même, faut quand même le rappeler, certainement vont évoluer aussi. On avait des élites contrôleurs il y a 10 ans, et puis il y a certains élites contrôleurs qui ont évolué, qui ont dû être traité. Ce n’est pas une situation stable. Il ne faut pas oublier. Mais ils ont des particularités de pouvoir contrôler naturellement leur virus. Il y a des personnes qui ont des niveaux de charge virale très faibles. Et donc qui vont pouvoir rester pendant longtemps à contrôler et donc du coup recevoir un traitement plus tardif. On n’a pas aujourd’hui d’essai pour dire entre des personnes qui contrôlent bien, est-ce qu’on aurait dû traiter tout de suite avec des traitements je veux dire qui sont tolérés, qui n’induisent pas de résistance et puis d’autres qui ont commencé plus tard. On ne sait pas. Il y a eu un essai qui était un essai SMART mais c’était sur des CD4 qui étaient à moins de 500, qui a bien montré qu’interrompre le traitement c’était mauvais et qu’il ne fallait pas retarder. Peut-être qu’il y a… un autre essai, c’est START, c’est au-dessus de 500, qui montrera qu’il n’y a pas de bénéfice ou qu’il y en a un. Donc c’est toujours difficile de répondre à la question de traiter, est-ce qu’on a bien fait ? Il se trouve qu’aujourd’hui avec le recul qu’on a, les traitements qu’on a, la recommandation est de traiter tout le monde le plus tôt possible. Pour un bénéfice individuel et pour un bénéfice collectif et pour arrêter aussi quelque part la transmission. Mais individuellement, je ne peux pas dire c’est sûr que pour cette personne c’est toujours bénéfique. Peut-être qu’elle aurait pu ne pas avoir un traitement pendant quelques années et ça n’aurait pas changé grand-chose.
Tina : Mais en tout cas une étude est en cours pour justement mesurer les bénéfices individuels parce que c’est sûr qu’il y a la question collective mais chacun est toujours intéressé individuellement à sa santé personnelle et peut aussi dire, si ce n’est pas un bénéfice pour moi, je sais qu’il faut que je me protège, que je dois utiliser le préservatif lors des rapports mais je préfère encore ça que de prendre tous les jours un traitement. Donc est-ce que cette question est étudiée ?
Laurence Morand-Joubert : Elle est étudiée, il y a un essai qui est en cours. Maintenant après, ça demande beaucoup de patients à inclure et puis il faut dire aussi que les gens ont toujours le choix. Je pense que les gens ont le choix d’avoir un traitement ou de ne pas avoir un traitement. C’est comme tout à l’heure avec le TASP quoi. À partir du moment où il se protège, où il protège les autres, voilà. Dans un cadre de responsabilité mais on a toujours le choix dans le VIH comme dans le cancer, comme dans d’autres maladies. Heureusement d’ailleurs.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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