L’annonce de la mort à une personne séropositive migrante, l’anthropologue Alain Epelboin réagit :
Alain Epelboin : Moi, mon expérience en soins palliatifs à propos du sida c’est jusqu’aux années 95 en gros essentiellement. Et puis, en dehors des cas rarissimes et où on arrive à rattraper des gens par les cheveux à la dernière seconde, j’en ai plus eu. Chaque personne atteinte du sida est une personne, une situation familiale, une équipe, des circonstances et tout est fonction de la qualité de la relation , de l’estime simple portée aux médecins, aux soignants. Est-ce que c’est une personne qui a bon coeur, etc. Tout peut être dit et rien ne peut être dit tout dépend des circonstances. Et puis il y a une façon de dire les mots sans les préciser et puis la famille vient immédiatement. Pour moi, le travail c’est surtout d’anticiper si vous voulez. De savoir par exemple qu’une des spécificités des migrants, vraiment une de leurs spécificités mais relative, c’est le désir d’être enterré au pays. Et donc quelque part, que ce soit la famille qu’il ne le verbalisera pas mais qui le pensera : « si on pouvait le ramener au pays, combien ça coûte une place d’avion au lieu de trois places, quatre places etc. Donc ça va être aussi d’informer les équipes soignantes. Et puis aussi informer comment dans la culture, s’organise les soins autour des grands malades, mourant ou pas mourant, peu importe et par exemple comment on va commencer les rituels funéraires. Ca a été une des premières choses, c’était à Bichat, le monsieur de RDC voudrait que ses enfants viennent, mais ce n’est pas autoriser dans un service de maladies infectieuses. Oui, oui venez. Ils veulent organiser un rituel funéraire, ils organisent, l’équipe qui arrive dit : «mais c’est effrayant, il y a 20 personnes dans la chambre, il y en a qui sont assis sur le lit, il y a du bruit, il y a de l’ambiance, personne n’a l’air de s’occuper, c’est un scandale». Je dis : «mais attendez non, le gars il est dans un cocon sensoriel, il est bien, on le fait bouger, il y a des odeurs, des gens». Donc il y a une anticipation à avoir par rapport ça. Et puis, il y a un travail sur la souffrance et de mobiliser pour la souffrance à la fois les drogues biomédicales mais également les secours de la religion, les secours des thérapies traditionnelles, des récitations de prières et puis redonner le goût, ce que madame a dit il y a quelques instants, redonner en même temps le goût. Ce n’est pas parce que je suis en train de mourir qu’il ne faut pas que je goûte des choses de bon goût. Moi j’ai fait des miracles avec, entre guillemets, vraiment très modeste le mot. Simplement en disant ah, celui-là il est peul, ça c’est quelqu’un qui aime beaucoup le lait caillé et puis quand il était petit enfant, sa maman le soir quand elle voulait faire un repas rapide mais qui ait beaucoup goût, l’équivalent des coquillettes jambon dans mon milieu familial, elle prend du couscous, on met lait caillé sucré, miellé, et le gars il dévore ça comme je ne sais pas quoi. Il y a une façon de stimuler l’appétit. Pour finir sur les soins palliatifs, l’annonce de la mort est effectivement très délicate y compris parce que celui qui ose annoncer est un criminel dans la responsabilité. Donc il y a une façon de le faire extrêmement subtile. Et puis les choses sont compliquées parce qu’en général, il y a une ou deux personnes qui sont au courant et l’ensemble de la famille n’est pas au courant. Et donc il y a une marche de manoeuvre. Donc en général, la façon c’est comme d’habitude, de prendre les gens pour ce qu’ils sont, de parler avec les gens pas forcément de dire les choses, mais de réunir la famille, de laisser entendre, trouver la personne qui a la finesse psychologique pour qu’elle puisse être informée sans trahir. Et surtout soulager la souffrance. Et puis il y a des caractéristiques, moi on m’a appelé pour des gens, on disait ils sont en coma dépassé. Ils ne bougeaient plus, ça faisait 15 jours, ils ont des escarres sous les fesses. Et en fait, il y a des drôles de choses qui sont assez culturelles qui est que, dans certains systèmes, quand il y a trop de souffrances, on se réfugie dans l’invisible. Et donc les gars que j’avais, ils étaient avec leur copine mami wata ou djinn etc. Ils étaient hors d’atteinte de tout ce qui se passait. Si c’est avant la mort, c’est très bien et ça leur permet de garder des forces pour communiquer avec les parents quand ils sont là. Si c’est pas avant la mort c’est comme un truc hypnotique, vous le faites sortir de ça. Puis l’infirmière va vous dire, mais qu’est-ce que vous avez fait, ça fait 15 jours qui ne bouffent plus, mais il y a des paroles qu’il a entendues, enfin voilà.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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