Sandra : Je vous propose d’écouter le témoignage de Manu. Il a participé au projet Madeleine. Qu’est-ce que c’est ? Le projet Madeleine c’est le fait de témoigner, devant des collégiens et lycéens, de sa vie avec le VIH. Là, il a été dans un lycée à Enghien-les-Bains. Pour la première fois, il s’est livré, comme ça, devant des lycéens. Je vous propose de l’écouter tout de suite.
Début de l’enregistrement.
Manu : Je suis surveillant pénitentiaire. Moi à votre âge, 15-16 ans, c’était d’être militaire. Je voulais être sous-marinier. J’ai travaillé pour. J’ai fait de longues études. En 1996, j’ai pu intégrer les forces sous-marines après beaucoup d’examens. C’est à cette époque-là que j’ai rencontré une personne à Toulon, une personne avec qui j’ai vécu 15 ans. On a divorcé il n’y a pas trop longtemps. Donc je l’ai rencontré en 1997/1998. Cette personne-là avait le Sida. J’ai vécu pendant 3 ans sans savoir qu’elle avait le Sida. Pendant 3 ans, j’ai vécu incognito avec elle. Au retour d’une mission, en septembre 2000, on m’annonce que je suis séropositif. Pour moi, c’était incompréhensible. Je revenais de mission, j’étais resté 3 mois sous l’eau, aucun rapport, pas de transfusion, rien. Donc il n’y avait qu’une seule possibilité, c’était elle. Après plusieurs questions, elle a toujours nié. Il n’y a pas très longtemps, j’ai appris qu’enfin de compte, elle avait des multiples relations quand j’étais en mission.
A partir du moment où j’ai appris ma séropositivité, l’armée ça a été claire, il y a des règles, c’est l’armée, séropositif = carrière finie. Du jour au lendemain, j’ai été accompagné par des gendarmes, parce que les sous-mariniers c’est très secret défense, ils sont venus me chercher au centre médical, deux gendarmes, armés et tout, limite j’avais les menottes, pour virer toutes mes affaires. Et donc pendant 1 an j’ai été placé on va dire au placard pour voir l’évolution de la maladie. Donc moi coup de bol, la maladie est restée en sommeil, comme disait Yann tout à l’heure, j’étais indétectable. Donc au bout d’un an, on m’a remis sur des bateaux. Les sous-marins c’était définitif, c’était rayé à vie. Donc tous les ans, je passais devant un conseil de santé pour pouvoir savoir si je pouvais rester sur les bateaux, si on allait me mettre à terre, tout ça. La chance que j’ai eue c’est qu’ils ne pouvaient pas me virer. Comme j’étais sous contrat, on ne peut pas virer un séropositif comme ça. Il faut vraiment faire une faute professionnelle. De 2000 jusqu’à 2012, la fin de ma carrière, tous les ans je passais devant un conseil de santé, devant des mecs avec des étoiles, des généraux, pour savoir si j’étais apte à naviguer. Jusqu’en 2006, ça a été le cas. J’ai même pu partir 2 ans en Nouvelle-Calédonie. Très belle carrière. En 2006, en Nouvelle-Calédonie, je choppe une fièvre jaune, un moustique qui m’a piqué, un truc banal quoi. Là, mes taux ont un petit peu évolué. Mes défenses se sont un petit peu cassées la gueule, normal. Et la charge a un petit peu augmenté. Donc le médecin a dit :”On ne prend pas de risque, on commence une trithérapie”. De 2000 à 2006, j’étais clair, net, indétectable. A partir de 2006 ça a commencé un petit peu à évoluer. A partir du moment où j’ai eu la trithérapie, fini les bateaux. Donc j’ai tout arrêté et je suis resté de 2006 jusqu’à 2012, toujours militaire mais dans un bureau.
Donc je faisais des papiers, tout ça. Après c’est sûr d’être marin sur un bureau, c’est moche quoi. Jusqu’en 2006, j’ai fait ma carrière et en 2012, mon ex-femme avec qui on a divorcé, en avait un petit marre de me voir à la maison. Elle m’a dit qu’il faudrait que je change de travail. C’est là que j’ai commencé à faire des concours. Je suis parti pour la pénitentiaire. Donc là aussi, madame ça ne lui plaisait plus parce que je n’étais plus à la maison. C’est là qu’on a divorcé et que je suis arrivé à Paris. Depuis 2013, je travaille dans les prisons incognito parce que vous vous doutez bien que s’ils apprenaient que j’étais séropositif, ça ne se passerait pas de la même façon, c’est un peu comme l’armée en fin de compte. Au jour d’aujourd’hui, je suis en détention avec des détenus, tout ça. Si demain on venait apprendre que je suis séropositif, ce serait dans un bureau. Comme l’armée.
Sinon, qu’est-ce que je peux dire ? Bah comme Yann, qu’il faut faire attention avec qui on est. Faut faire confiance qu’à soi-même. Moi, j’étais avec une personne avec qui j’ai vécu 15 ans. On a eu 2 enfants négatifs qu’on a fait le plus naturellement du monde. Les deux accouchements naturels. Il m’a fallu 3 ans pour découvrir cette personne et puis savoir qu’elle était séropositive. Mais bon. A l’époque, je l’aimais, tout se passait très bien. On avait des rapports non-protégés forcément. Le fait d’avoir le VIH, en fin de compte, moi, ça m’a cassé toute ma carrière. Ce que j’avais comme rêve d’enfant, en l’espace d’une fois, fini.
Bon après, j’ai la force de pouvoir rebondir, m’adapter, comme tous les militaires. Le VIH j’en ai fait une force. Aujourd’hui je vis normalement, je prends un cachet tous les soirs. C’est contraignant parce que tous les 6 mois il faut faire de analyses de sang, il faut faire attention à ce qu’on mange, comment on vit, avec qui on vit. Là, actuellement je suis avec quelqu’un qui est séropositif, qui a un enfant. Il faut faire attention parce que le petit il est négatif. Donc c’est bien et ce n’est pas bien. Je vis avec tous les jours, je fais attention à ce que je fais. Je fais du sport, j’ai un travail, j’ai une situation stable mais d’un autre côté, ce que je voulais faire quand j’étais petit, je ne peux plus faire quoi. Après bon, j’ai réussi à trouver un travail. Je ne sais pas comment dire ça mais, il y a du bien et du pas bien.
Yann : Ca t’a quand même cassé un grand rêve quoi.
Manu : Ouais. Bon j’ai réussi à faire quand même 4 ans, de bonnes missions, des bonnes choses quoi. Après si j’avais pu le faire à vie ! C’est la vie, j’ai fait confiance à quelqu’un une fois. Moi, j’étais fidèle, bon je le suis toujours (rires). Mais c’est vrai qu’entre temps, comme disait Yann, entre mon ex-femme et la personne avec qui je vis, j’ai rencontré une personne quand j’étais à l’école pénitentiaire, qui était elle séronégative. Pendant 2 ans, j’ai eu des rapports avec elle non-protégés. Donc comme disait tout à l’heure Yann, d’entrée de jeu je lui ai dit. J’ai dit voilà, moi je suis séropositif, si tu veux être avec moi, c’est comme ça, si tu ne veux pas… dès le départ c’est clair. La personne hyper compréhensive : “Il n’y a pas de problème”. Donc je lui ai mis les points sur les i : “Mais tu sais que tu risques ça ? Derrière il y a quelque chose quoi”. “Non, non pas de problème”. Je lui dit : “Mais même pour les rapports ?”. Alors je lui ai expliqué le fait que moi j’ai un traitement, une vie saine, que j’ai une observance de mon traitement, tous les jours, je n’oublie pas le traitement, mes analyses, tout ça, je lui ai dit que le fait d’être indétectable, il y a un risque, il est minime, mais il y a un risque. Elle, elle m’a dit, il n’y a pas de problème. Donc pendant 2 ans, j’ai eu des rapports non-protégés. Aujourd’hui on travaille ensemble parce qu’on est dans la même prison, aujourd’hui elle est négative. Mais il y a un risque, c’est ce qu’il faut se dire. Au-dessus de nous il y a toujours une épée de Damoclès. Le danger viendra de moi quoi. Il suffit qu’un jour je ne prenne pas mon traitement ou que j’ai un rapport avec quelqu’un…
Sandra : Ca peut venir d’elle aussi. Si elle a une IST, une autre IST. Là, ça ne marche plus la condition.
Une personne séropositive qui prendre correctement son traitement, qui est observante, qui a une charge virale indétectable depuis plus de 6 mois et qui n’a pas d’autre IST (Infections sexuellement transmissible) ne transmet pas le virus du VIH. Attention, si la personne séronégative a une autre IST, il y a un risque de transmission du VIH.
Leila : Manu, j’ai une question. Les enfants que tu as eues, c’était avec ton ex-femme. Elle, savait qu’elle était séropositive. Vous le saviez tous les deux. Elle a eu un traitement pendant la grossesse ou elle n’avait pas de traitement ?
Manu : Elle était déjà sous traitement oui. En fin de compte, je l’ai connue fin 1997, début 1998. Et elle, elle était déjà sous traitement.
Leila : Ah quand tu l’as rencontrée elle était déjà sous traitement ?
Manu : Ouais. Mais bon, pendant 2 ans, elle a réussi quand même à me berner. Pendant 2 ans, je n’ai pas vu les traitements qu’elles prenaient.
Leila : A l’époque ce n’était pas qu’un seul cachet par jour ?
Manu : Non, elle en avait 2. Bah après, c’est vrai que moi, sur une année de 12 mois, j’étais pratiquement parti 6 mois de l’année, en mission. Mais bon, après le cachet, c’est un truc comme ça, ça ne se voit pas. Elle peut prendre en dehors des repas, et voilà.
Leila : Alors comment ça se passe ? Elle t’a transmis la maladie mais du coup, si elle a eu plusieurs partenaires, elle-même elle a contacté les autres partenaires ?
Manu : Ouais. Justement elle a eu des problèmes avec ça quoi. Parce qu’on a porté plainte contre elle. En fait, même le fait qu’elle ait le traitement, elle a pu me le transmettre parce qu’en plus du VIH, elle a attrapé d’autres IST, et c’est grâce à ça… du moins à cause de ça que j’ai pu découvrir que j’avais le VIH.
Yann : IST c’est une infection sexuellement transmissible.
Manu : Elle avait un traitement qui était inopérant, elle prenait le traitement en fin de compte, au moment où moi j’ai fait les analyses, moi j’étais indétectable, elle, quand j’ai été la voir, je lui ai dit faut que tu fasses des analyses. Elle, ses défenses qui étaient à 700, qui est un très bon niveau, elle était pratiquement arrivée à 150 au niveau des défenses immunitaires. Et en revanche, le VIH il avait explosé. Donc elle, ça lui a causé pas mal de problème parce que le fait d’avoir un traitement inopérant, elle a eu la nécrose osseuse, donc elle a été opéra des deux hanches, en fin de compte ça a attaqué ses cartilages et ses os. Mais bon, elle a quand même pu faire des bébés avec.
Pénalement, le fait de transmettre le VIH à quelqu’un est passible de 10 ans de prison. Après moi, je n’ai pas porté plainte. C’est un de ses partenaires qui a porté plainte. Moi, en 2000, quand je l’ai découvert, on a vécu encore 12 ans ensemble, on a eu 2 enfants en 2001 et 2010, moi j’ai compris, je lui ai pardonné. Après, chacun réagit différemment. Moi je l’ai appris, c’est un mec en costume, militaire qui m’a dit ça. Je me suis dit ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible que ce soit elle ! Il me dit si ce n’est pas elle, c’est forcément vous. Je dis non, je reviens de mission, j’ai fait une analyse avant, je n’avais rien. J’ai une analyse après… je dis non, ce n’est pas possible. Il me dit si ce n’est pas vous, c’est elle. J’ai parlé avec elle, on a parlé, tout ça…
Yann : Tu devais être très amoureux aussi. Parfois ça suffit.
Manu : Il y en a certains qui vont péter les plombs qui peuvent aller jusqu’à… je ne vais pas dire le meurtre mais bon.
Sandra : Faut dire que, annoncer sa séropositivité, parfois ce n’est pas facile non plus quoi. Il y a des personnes qui se savent séropositif et qui ne l’annoncent pas au premier rapport mais qui mettent une capote par exemple. Bon, et ça peut arriver que la capote pète, ça peut arriver des accidents. Et là, tu vas être amené peut-être à dire que tu es séropositif. La personne peut dire “Pourquoi tu ne me l’a pas dit avant, je vas porter plainte !”. Parfois aussi, porter plainte contre la personne… qu’est-ce que ça change ?
Manu : Tu l’as quand même.
Sandra : Oui. C’est vrai que ce n’est pas facile mais il faut avoir cette démarche de comprendre pourquoi la personne ne l’a pas annoncé. C’est vraiment très rare que ce soit des gens qui sont dans l’optique de se dire, je vais contaminer tout le monde.
Manu : Quand je l’ai appris en 2000, ça n’a vraiment rien changé, à part d’avoir perdu mon travail, ça n’a rien changé parce que je n’avais pas de traitement, j’avais une prise de sang tous les 6 mois. A part avoir perdu mon boulot, je n’avais rien d’autre. J’étais quand même militaire, je n’étais plus dans les sous-marins quoi.
Fin de l’enregistrement.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
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