Le 21 mai 2010, lendemain de mon anniversaire, je me suis rendu au travail comme d’habitude. En plein rendez-vous avec un fournisseur dans le courant de l’après-midi, j’ai reçu un appel sur mon portable. J’ai rapidement jeté un oeil pour savoir qui c’était : il s’agissait de mon médecin traitant. Je me suis excusé et je suis allé répondre dans la pièce à côté.
Il m’a demandé de passer le voir d’urgence en sortant du travail, il paraissait un peu affolé dans la voix. Évidemment, comme je venais de faire un test de dépistage quelques jours avant, je me suis pris de panique et me suis isolé dans les toilettes. Une collègue est venue me chercher car sans m’en rendre compte je suis resté un moment interminable enfermé là et je me sentais tellement pas capable de sortir que je lui ai dit ce à quoi je m’attendais. Elle a donc pris le relais de mon rendez-vous.
Le soir, je suis donc allé voir le médecin. J’ai eu à peine le temps de m’asseoir qu’il me dit : “C’est positif”. Sur le moment, cette information m’a assommé et je ne savais plus comment réagir. J’avais déjà appréhendé toute la journée suite à son coup de fil et maintenant que j’avais confirmation de ma peur, j’étais simplement vidé. En réaction à mon silence, le médecin semblait perdu, il n’avait pas l’air de savoir que dire. J’ai fini par reprendre mes esprits et lui demander si ce résultat était définitif, si on était sûr. Il m’a dit que je devrais passer un second test (le western blot) ce qui du coup m’a un peu perturbé : je ne savais plus si je devais me fier au premier résultat ou attendre le suivant.
Ses explications n’étaient pas complètes et assez confuses. Le pire c’est qu’en partant après m’avoir donné l’ordonnance, il a ajouté “Puisse Dieu vous aider et faire en sorte que la 2ème prise de sang ne confirme pas la première” (!!!) Du coup, je n’ai pas compris s’il y avait encore une chance de ne pas être positif ou pas.
Au laboratoire, quand je suis allé chercher les résultats du western blot, la réaction des professionnels n’était pas meilleure… Les gens font la queue pour récupérer leurs enveloppes qu’ils récupèrent avant de partir. Arrivé mon tour, la secrétaire me regarde et baisse les yeux puis me demande d’attendre dans la salle pour être reçu.
Le laborantin m’annonce donc que le résultat est positif d’un air très gêné et là encore, aucune explication. La seule réponse a été de retourner voir mon médecin au plus vite pour qu’il m’oriente vers un hôpital.
Sandra : Un témoignage d’un auditeur qui a souhaité nous interpeller sur le manque d’information et de formation des médecins généralistes. Il s’agit d’une expérience, est-ce qu’on peut du coup généraliser à tous les médecins généralistes ? Qu’en pensez-vous Yann et Zina ?
Zina : Pour ma part, je sais que j’ai eu beaucoup de chances. Je suis allée vivre en Auvergne il y a 20 ans et au début j’étais à Clermont-Ferrant donc il y avait un infectiologue. Mais après je suis allée dans un petit village de montagne et la généraliste qui vit dans la commune juste à côté, s’était beaucoup informée sur le VIH. Pour elle, il y a tellement de personnes concernées que c’était évident de se renseigner sur ce virus. Donc ça s’est très bien passé. Là, je suis à Chamonix, il n’y a pas d’hôpital avec un service. Il y a un hôpital mais il n’y a pas de service maladies infectieuses et tropicales. Donc, je vais voir mon généraliste qui lui va souvent en Afrique, va souvent faire des formations pour se renseigner. Donc pour ma part, j’ai vraiment eu beaucoup de chance. Sinon, j’ai principalement vécu dans la région parisienne donc là je voyais mon infectiologue. Donc non, on ne peut pas généraliser. Maintenant ce que je pense c’est qu’effectivement il y en a qui ne connaissent rien et j’estime que ce n’est pas normal. Je comprends qu’un généraliste ne soit pas informé sur une maladie orpheline, sur une maladie rare mais je ne comprends pas qu’un généraliste ne soit pas informé sur le VIH. On est tellement nombreux à l’avoir donc ce n’est pas normal pour moi. Même si je n’aime pas le mot normal mais voilà.
Sandra : Oui, mais on comprend. Yann, qu’en penses-tu des médecins généralistes, est-ce que selon toi ils sont assez informés sur le VIH ou pas ?
Yann : Tu imagines bien qu’après 25 ans de séropositivité, j’en ai croisé pas mal des généralistes. Il y a ceux qui ont tout de suite l’honnêteté de dire que ce n’est pas leur spécialisation, qui connaissent le b.a-ba et qui nous orientent d’une manière très simple vers les personnes qui ont cette qualité et cette spécialisation. Je vois aussi au centre, moi j’habite Saint-Denis dans le 93, je vois aussi au centre de santé, qui est un truc assez ouvert à toutes les populations, effectivement il doit avoir 6 médecins dans le groupe et il y en une spécialisée vraiment. Donc c’est vrai que quand j’ai eu à faire à un médecin là-bas, il m’a tout de suite proposé de la voir qui était plus pointue sur le VIH/VHC. Après, j’ai vu aussi des médecins généralistes pour d’autres pathologies que le VIH, par exemple quand je suis malade et qu’il faut que j’aille voir un généraliste, donc là en fin de compte on soigne la pathologie sans forcément déborder sur le VIH. Mais je comprends que la pire des choses c’est quand même cette formation comme dit Zina, cette formation qui manque à la manière de l’annoncer, à la manière de présenter la chose pour la dédramatiser au maximum même si on sait tous qu’en 2013, 2014, quand on apprend ça, on a toujours ce sentiment de grande peur.
Sandra : Lucas Vitau et moi-même avons passé quelques coups de fil à des médecins généralistes dans à peu près toute la France. Évidemment, ce petit sondage ne sera pas représentatif de tous les médecins généralistes mais ça donne déjà une idée de leurs connaissances sur le VIH. Je précise que cela n’a pas été facile de les joindre car ils étaient souvent en consultation et leur priorité n’est pas de répondre à nos questions même si cela leur prenait 2 minutes. Donc nous avons réussi à avoir les réponses de 10 médecins généralistes sur une centaine, 150 environ.
Voici les questions que nous avons posées : vous devez annoncer une séropositivité à une femme enceinte, comment faites-vous ? Lisez-vous les rapports qui sortent sur la prise en charge des personnes séropositives ? Estimez-vous être assez informés sur le VIH ?
Et voici leurs réponses : sur la question d’être bien informé ou pas, c’est moitié-moitié. Je vais vous citer quelques réponses intéressantes :
«Je ne sais pas du tout, ça dépend de la personne. Je lui annoncerai carrément, en disant que ce n’est pas très grave, en lui disant qu’un traitement existe pour que son bébé ne soit pas infecté par le VIH.»
«J’explique la pathologie. Il faut savoir comment il l’a attrapée, comment il peut se soigner, au même titre qu’une annonce d’un cancer. Je les prends en charge mais je redirige surtout vers un infectiologue.On a beaucoup de rapports qui sortent, on en reçoit beaucoup, on n’a pas le temps de tout lire, il faudrait des journées de 30 heures, ce n’est pas possible.»
«Je suis médecin généraliste depuis 30 ans, j’ai fait partie de ceux qui ont accepté de recevoir des personnes séropositives dès le début de l’épidémie. On les comptait sur les doigts de la main. Par la suite, des réseaux se sont construits, j’ai suivi des formations à l’hôpital. Est-ce que je suis assez informée ? Je ne sais pas mais en tout cas, si vous interrogez mes confrères, je ne suis pas certaine qu’ils soient bien informés sur le sujet.»
«Je lui dis. Des mots pour la rassurer ? Non, je module, je lui explique qu’on va voir ça avec spécialistes.»
«Je n’annonce jamais, c’est quand même pas…., il y a les conduites à risque, je n’avance pas, et je dis qu’on fait un contrôle, il faut voir les antécédents, il y a tout en entretien, ça ne s’annonce pas comme ça.»
«Je vais la questionner sur ses partenaires, savoir si elle connait leur séropositivité, s’ils se sont posé la question. Et progressivement je vais lui annoncer. Pour son bébé, je vais lui dire que son bébé n’est pas obligatoirement séropositif et qu’il faut qu’elle soit suivie par le service spécialisé VIH. J’ai créé le département VIH pour les médecins généralistes. Je ne me considère pas au courant de tout mais je reste sensibilisé, je continue à m’informer.»
Voilà en gros pour les réponses, qu’est-ce que vous pensez des réponses de ces médecins ? Êtes-vous satisfaits ? Auriez-vous aimé vous retrouver en face de ces médecins lors de votre annonce de la séropositivité ?
Zina : Pour ma part, oui, ça va. Ils s’intéressent au virus et ils se sont informés pour certains au moins. Mais il y a une chose que je voudrais dire aussi, c’est par rapport à l’annonce. J’estime que toutes personnes qui travaillent dans le domaine de la santé doit avoir quand même un minimum de psychologie je veux dire. La réaction tout à l’heure, le témoignage du médecin qui n’était pas bien au téléphone et qui lui annonce d’une façon assez brute. Je veux dire, ça suffit quoi. Quand on choisit de travailler dans ce secteur, il faut quand même un minimum de psychologie pour annoncer à la personne. On ne peut pas faire comme ça, de but en blanc, il me semble que tu disais que le médecin avait la voix un peu tremblante. Il y a un souci quoi.
Sandra : Et toi Yann, que penses-tu des réponses des médecins ?
Yann : Par rapport à mon cursus, moi j’ai reçu la lettre par la poste. Donc tu vois, ça a quand même évolué. Maintenant on convoque le patient pour lui annoncer de vive voix. Nous, en 1990 on recevait la réponse par le laboratoire. Donc tu imagines le choc quand on ouvrait l’enveloppe.
Sandra : C’est sûr. J’ai posé cette question à quelques membres de l’association au Comité des familles. Il y en a qui voient des médecins généralistes spécialisés dans le VIH donc du coup, forcément ces médecins sont à l’aise avec cette pathologie donc avec les personnes séropositives. Mais il y a quand même une personne qui m’a dit, donc c’est arrivé très récemment, cette année, la personne lui a annoncé sa séropositivité et le médecin n’a pas su répondre à ses questions. Il lui a dit d’aller à l’hôpital et que ce n’était pas un coup de chance c’est tout. Il n’était vraiment pas à la hauteur et elle était vraiment, même là quand elle racontait l’histoire, on sentait les larmes qui venaient. Elle n’a pas trouvé le réconfort dont elle avait besoin. Et moi, le sentiment que j’ai eu quand j’ai eu les médecins au téléphone, c’est que je pense qu’ils sont peut-être qualifiés pour renouveler les ordonnances ou pour parler plutôt traitement mais je crois que sur l’annonce, il y avait beaucoup d’hésitation et dans les rapports c’est dit que les médecins généralistes doivent prendre le temps, prendre en compte les aspects culturels, sociaux. Bon. Aucun ne m’a parlé de ça. Je ne leur jette pas la pierre, ce n’est pas évident. Mais il y a un manque de formation et c’est sûr que quand on est médecin généraliste, ce n’est pas évident. Il y en a un qui m’a dit qu’il n’accorde pas plus d’importance au VIH qu’aux autres maladies.
Yann : Et toute l’importance du médecin généraliste, c’est aussi le fait que si on est suivi à l’hôpital comme la plupart des séropositifs quand même, parce que l’infectiologue en général se trouve à l’hôpital, c’est d’avoir un médecin avec qui on se sent bien en tant que médecin… je n’aime pas dire confort mais c’est-à-dire qu’on ne peut pas aller à l’hôpital pour un bobo, on ne peut pas voir son infectiologue facilement parce que comme vous savez, ils sont surchargés de travail. Donc c’est très important, même si la personne n’a pas une grande connaissance de se sentir bien et de pouvoir être compris en qu’à de grandes fatigues, d’un besoin de petit arrêt. C’est important d’avoir un médecin de ville.
Sandra : Oui, tout à fait. Et il y en un à l’association qui a rappelé à tous que si le médecin vous prend trop la tête, vous pouvez changer de médecin, on a le choix. Il a rappelé que c’est notre vie.
Yann : C’est bien de le rappeler.
Sandra : J’attends vos réactions sur le site comitedesfamilles.net ou bien vous pouvez appeler le 01 40 40 90 25.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
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