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31.12.2013

Pierre Frange : «En Afrique, l’annonce d’une séropositivité a un impact très fort»

Pierre Frange, Sandra et Ali

Sandra : Annoncer à son enfant qu’il est infecté par le VIH, ce n’est pas chose simple, c’est un processus. C’est un sujet qu’on a abordé aussi avec Catherine Dollfus et elle conseille d’en parler à l’enfant très jeune, dès qu’il pose des questions, lui répondre le plus honnêtement possible avec un vocabulaire adapté bien sûr. On ne va pas tout de suite lui parler de charge virale, de CD4, etc. Mais voilà, si l’enfant demande pourquoi je prends des médicaments ne pas esquiver la question… Comment ça se passe avec les enfants qui sont en Afrique, que vous avez rencontrés ? Comment parle-t-on du VIH à ces enfants-là qui doivent prendre des médicaments ?

Pierre Frange : On constate les mêmes difficultés, les mêmes appréhensions en Afrique qu’on constate en France au quotidien dans les consultations. C’est-à-dire qu’évidemment les parents ont très peur qu’on parle à leurs enfants. Du coup, le risque est que le docteur ne s’adresse qu’aux parents. Toute la question de l’annonce et puis voilà, l’enfant on lui donne ses traitements et ne l’informe pas de pourquoi il faut venir à l’hôpital. Quand il est petit, il suit. On lui dit faut venir à l’hôpital, il vient à l’hôpital. Il y a un moment il commence à poser des questions, à trainer des pieds, à se demander pourquoi c’est seul à venir à l’hôpital de tous les frères et soeurs. On travaille beaucoup pour inciter, sensibiliser les équipes médecins, infirmières, psychologues qui travaillent dans les hôpitaux d’Afrique pour que la consultation, l’information soient bien sûr délivrées aux parents. C’est les acteurs majeurs. Mais également qu’on s’adresse à l’enfant pour qu’il devienne acteur de son suivi, de sa vie et puis ce n’est pas possible d’exiger à un enfant, mais c’est également le cas en France, un enfant de 7, 8, 10 ans, de lui imposer tous les jours un traitement sans lui donner la moindre information en disant écoute, tu prends ça et puis tu te tais, parce que c’est comme ça, c’est le docteur qui le dit. À un moment, il pose la question, il a besoin d’entendre les informations bien sûr adaptées à son âge. Il ne s’agit pas d’avoir une information trop compliquée. Mais il a besoin d’avoir des informations. Là aussi, exactement le même problème à une échelle bien sûr bien plus importante puisqu’il y a beaucoup plus d’enfants infectés dans les pays du Sud. C’est important, ça prend du temps et ça, c’est un vrai problème quand on une consultation comme ça, en Afrique. Il y a énormément d’enfants à voir dans un délai très court. Donc ça prend du temps. Ça nécessite du coup une organisation de soins différents avec des acteurs psychosociaux, des relais associatifs, des relais de familles ou des groupes de parole d’enfant, etc. Mais ça nécessite que les messages soient dits et qu’on s’adresse aussi à l’enfant pour qu’il devienne acteur. C’est exactement ça. Acteur de son système de soin.

Yann : Et en plus, dans l’Afrique il y a la chape du non-dit. Il y a quand même des parents qui vont peut-être inciter l’enfant à ne jamais en parler parce que tu comprends on peut se faire rejeter par toute la famille et pas que toi, et tes frères et soeurs. C’est un vrai problème aussi d’acceptation.

Pierre Frange : On en parlait là, sur la formation que vous faisiez dans les lycées en France. Ceux qui ont 15 ans en France n’ont pas connu l’épidémie où les gens mouraient partout. En revanche en Afrique c’est le cas, en tout cas les jeunes parents ont connu ça et voient ça au quotidien. Donc c’est un impact très fort l’annonce du diagnostic. C’est encore extrêmement tabou. Donc ça nécessite justement d’apporter des informations médicales claires pour démystifier la réalité de ce que c’est et ce qu’on arrive maintenant à faire en terme d’impact sur la qualité de vie avec les traitements. C’est important que le médecin reprenne ça parce qu’il y a encore beaucoup d’imaginaire bien sûr. Pour eux, c’est leur quotidien.

Yann : Changer les mentalités ça prend du temps.

Sandra : Quelle est la réaction des enfants quand on leur dit, tu as un virus, comment réagissent-ils ? Vous voyez des différences avec ceux qui sont en France ?

Pierre Frange : Globalement non, on ne voit pas de différence par rapport à la France. La situation dramatique c’est quand on annonce trop tard. C’est-à-dire on est un adolescent, on a 15, 16, 17, 18, 20 ans et tout d’un coup on apprend que depuis la naissance on est infecté par le VIH ou alors on l’a appris tout seul parce qu’à force de se poser des questions, on finit par aller se renseigner de qu’est-ce que c’est ces traitements qu’on nous faisait prendre. Du coup, cette situation est dramatique parce qu’il y a une perte de confiance complète à l’égard du médecin, à l’égard de la famille. Pourquoi on m’a caché ça pendant 20, 15 ans ?

Yann : Presqu’une double peine quoi.

Pierre Frange : Absolument. Ça, c’est absolument dramatique. Finalement quand on s’y prend suffisamment tôt, ça se passe bien parce qu’on répond aux questions des enfants au fur et à mesure qu’ils se les posent. Donc évidemment, à 6, 7, 8 ans, la principale question c’est pourquoi je viens à l’hôpital, pourquoi j’ai besoin de prendre des traitements ? Évidemment on ne parle pas de transmission. Ça, ça viendra plus tard. Mais on répond à sa question immédiate, en terme adapté à son âge. En général, autant les familles appréhendent très longtemps à l’avance cette période de l’annonce, autant quand on s’y prend très longtemps à l’avance, cette période de l’annonce, autant quand on s’y prend suffisamment tôt, ça se passe bien.

Yann : Je me permets de redonner un petit exemple qui n’a rien à voir parce que, Dieu me protège, je n’ai jamais eu d’enfant né séropositif ou contaminé en tout cas, mais c’est un message que je fais passer parce que beaucoup de parents, même qu’on côtoie au Comité, ont du mal à faire l’annonce de leur séropositivité à leur enfant. Ça rapproche ce que vous disiez. Moi quand Lolita avait 4, 5 ans, comme je ne me cachais pas de prendre mes médicaments, à l’époque on en prenait quand même 10 ou 15 le matin et pareil le soir. Je lui avais simplement dit, j’ai une maladie du sang, si je prends ça tout va bien. Je me rappelle qu’elle était tout de suite passée à autre chose parce qu’il n’y avait pas de mensonge. Ce n’était pas non plus une annonce dramatique. Elle est passée à autre chose jusqu’à qu’à 8-10 ans, elle pose d’autres questions plus… Mais c’est un conseil que je donne aux parents, n’attendez pas trop parce qu’après ce n’est jamais le bon moment, après c’est la prépuberté, après c’est l’adolescence, après c’est 18 ans il est en plein dans ses études. Donc comme dit médecin. Le plus tôt est le mieux et…

Ali : De toute façon les enfants en général s’ils posent des questions et qu’on ne leur répond pas, tant qu’ils n’auront pas un début de réponse, ils ne lâcheront pas l’affaire. Donc plutôt qu’ils aillent apprendre des conneries par ailleurs, autant leur dire, quitte à leur dire le strict minimum, dire j’ai un virus qui est potentiellement mortel, quitte à ce que le môme prenne ça en pleine poire, je pense que c’est mieux…

Yann : Oui, parce qu’il va l’apprendre à un autre moment d’une autre bouche…

Ali : Moi je l’ai vécu différemment parce que je ne prenais pas de traitement. Donc j’ai élevé mon fils, il ne m’a pas vu prendre de traitement, ni vu spécialement en mauvais état. En revanche quand on s’est séparé d’avec sa mère, quand je le voyais, on n’en jamais reparlé, jamais reparlé dans la conversation de ma sérologie.

Sandra : Dernière question avant de passer à la rubrique culturelle. Il y a un constat qui est fait, les enfants nés avec le VIH rencontrent des difficultés dans l’observance quand ils deviennent adolescents et ça peut continuer une fois adulte. Est-ce que c’est pareil pour les enfants infectés par le VIH en Afrique ?

Pierre Frange : Oui, c’est pareil, à vrai dire pour n’importe quel adolescent, atteint par n’importe quelle maladie qui nécessite un traitement à prendre tous les jours. C’est déjà galère pour tout le monde, quelque soit l’âge d’avoir à prendre un traitement tous les jours quand on est adolescent et qu’il y a bien d’autres préoccupations importantes dans la vie, c’est comme tout adolescent, en qu’en plus on est atteint d’une infection qui est potentiellement stigmatisante, ce qui vient beaucoup perturber l’investissement dans les relations affectives, dans les relations sexuelles, dans tout ce qui se construit pendant l’adolescence. Tout ça est bien sûr extrêmement compliqué et en Afrique également. Souvent il y a beaucoup de pays ou l’entrée dans la vie sexuelle est plus précoce, tout ça vient perturber la prise des traitements. C’est une période vraiment difficile en terme de risque bien sûr d’aggravation de la maladie et justement de survenue du sida cette fois à l’adolescence, par rupture du suivi, parce qu’on en a ras-le-bol de voir le médecin, on en ras-le-bol de prendre le traitement…

Yann : On veut transgresser…

Pierre Frange : Voilà, dans n’importe quelle maladie chronique, il est difficile de prendre un traitement. Un adolescent diabétique c’est la même chose, il se pose des questions mais, alors là en plus il est atteint d’une maladie qui touche le coeur de ce qu’un adolescent, on touche à l’intime…

Ali : Les relations amoureuses, ça touche à la procréation, en plus dans certains pays la religion pèse, le regarde la société. Comme j’ai coutume de dire parfois, la fois où on est allé témoigner, bêtement on apprend que quelqu’un a eu un cancer, on est quelque part plus ou moins dans l’empathie. Mais vis-à-vis de quelqu’un qui a attrapé le VIH, le raisonnement est souvent de se dire c’est une personne qui a fait quoi qu’il en soit une connerie, c’est parce qu’il a été coucher à droite, à gauche. Donc quelque part, si la personne l’a eu c’est qu’elle l’a cherché.

Pierre Frange : Oui avec une stigmatisation qui est souvent plus forte en Afrique…

Yann : Et entre adolescents ils ne se font pas de cadeau.

Pierre Frange : Absolument.

Transcription : Sandra Jean-Pierre

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